Grand Théâtre, 18 décembre
Le Palazzetto Bru Zane aime Reynaldo Hahn (1874-1947) et, plus particulièrement, Ô mon bel inconnu. Après l’enregistrement de studio, réalisé sous la baguette de Samuel Jean (Éditions du Palazzetto, 2019), le voici à l’initiative d’une nouvelle production, à l’Opéra de Tours, qui sera rejouée, en avril prochain, à Paris (Athénée Théâtre Louis-Jouvet), en attendant d’autres reprises à Rouen, Avignon et Massy.
La création de cette « comédie musicale », au Théâtre des Bouffes-Parisiens, le 5 octobre 1933, suit de dix ans celle de Ciboulette. Il s’agit, après Mozart (1925), de la seconde collaboration de Reynaldo Hahn avec Sacha Guitry, qui signe un livret sur un thème qui lui est cher : l’amour et ses infidélités.
L’intrigue, comme on peut l’imaginer, est astucieuse et cruelle, ironique et tendre. Elle met aux prises un chapelier guetté par l’ennui conjugal, Prosper Aubertin, qui publie dans un journal une petite annonce anonyme, à laquelle répondent Antoinette, sa femme, Marie-Anne, leur fille, et Félicie, leur bonne. Stupéfait, furieux, puis calculateur, Prosper noue une intrigue pour se venger, mais se montre magnanime afin d’en dénouer les fils et de donner à l’histoire une heureuse issue.
Sur cette trame, qui tient en partie du théâtre de boulevard, Reynaldo Hahn a composé une musique soignée, instrumentée avec une discrétion efficace (le petit orchestre comprend notamment un saxophone, un piano et une batterie), mais qui ajoute surtout de la douceur, voire de la nostalgie, aux dialogues cyniques de Guitry, et ménage quelques pages instrumentales qui permettent des pantomimes.
Il y a bien une poignée de numéros enlevés, mais Reynaldo Hahn apporte, avant tout, son contrepoint rêveur, délicatement sentimental. L’une de ses plus belles réussites est, à cet égard, le célèbre trio, dont les paroles, « Ô mon bel inconnu » précisément, sont chantées par les personnages féminins ayant répondu à la lettre du chapelier.
Dans la fosse, Marc Leroy-Calatayud sait trouver le ton juste, avec ce qu’il faut d’entrain et de nostalgie, pour que s’épanouissent les airs et les ensembles que Reynaldo Hahn a voulus concis, sans épanchement inutile.
On sait gré à Émeline Bayart de n’avoir pas modernisé ou adapté le livret, dont les plaisanteries peuvent choquer des esprits chatouilleux, mais qui donnent sa sève à l’ouvrage. Un décor efficace (un appartement pouvant se transformer en magasin, dans la première partie, puis une villa, dans la seconde) permet une mise en scène vive, drôle, parfaitement réglée, qui reprend avec finesse les codes du vaudeville et campe avec verdeur les personnages, sans pour autant les caricaturer.
Émeline Bayart s’est réservé le rôle de Félicie, créé par Arletty, et elle met dans sa composition un peu de la gouaille désopilante qui l’avait rendue irresistible dans Fric-Frac, en 2018, au Théâtre de Paris, dans la mise en scène de Michel Fau.
En 1933, on avait réuni une équipe de comédiens-chanteurs. En 2022, on se situe un cran nettement au-dessus, puisqu’il s’agit, ici, de chanteurs très à l’aise dans la comédie. On ne citera pas les mérites des uns et des autres, mais la faconde de Marc Labonnette, l’élégance de Clémence Tilquin, la grâce de Sheva Tehoval, pour citer les rôles principaux, se fondent parfaitement dans la drôlerie du spectacle.
Victor Sicard est un jeune premier sans afféterie, et Jean-François Novelli passe habilement du client malheureux au propriétaire avantageux. Enfin, les mimiques de Carl Ghazarossian, l’ami muet, ajoutent à la bonne humeur générale.
Avec sa légèreté de bon aloi, Ô mon bel inconnu réjouit par ces temps de ressentiment et d’esprit de sérieux.
CHRISTIAN WASSELIN