Opéra, 4 & 5 octobre
Créée à Lausanne, voici dix ans (voir O. M. n° 78 p. 55 de novembre 2012), et plusieurs fois remontée depuis – la saison passée encore, à Bordeaux (voir O. M. n° 182 p. 39 de mai 2022), puis aux Chorégies d’Orange (voir O. M. n° 185 p. 52 de septembre 2022), cette production d’Adriano Sinivia retrouve son lieu d’origine, où ses qualités d’humour, d’inventivité, mais aussi de fini dans le détail du jeu, frappent de nouveau. Deux distributions alternent, l’une « internationale », l’autre, pour deux représentations sur six, de « jeunes solistes », encore en début de carrière.
Musicalement, la direction de Nir Kabaretti, à la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, paraît sensiblement différente, d’un soir à l’autre : fluide et sûre, avec la distribution confirmée ; plus banale, voire peu poétique, et nettement moins satisfaisante quant aux équilibres et dosages sonores, avec l’autre plateau. Saluons, en revanche, les deux soirs, le soutien sans faille dans les récitatifs de Marie-Cécile Bertheau au pianoforte.
Digne d’une grande maison, la distribution « internationale » s’impose, malgré de menues réserves, avec une évidence vocale et scénique réjouissante. Le Belcore de Giorgio Caoduro joue les fiers-à-bras avec brio, profitant de l’autorité de son baryton mordant. L’aigu, particulièrement puissant et brillant, est malheureusement presque toujours trop haut, ce qui entache quelque peu sa prestation.
On est assez étonné de voir Valentina Nafornita endosser encore les habits d’Adina, elle qui, depuis trois ans, aborde Iolantha, Fiordiligi (Cosi fan tutte), Micaëla (Carmen)… De fait, l’émission s’est alourdie, avec une couverture qui compromet la clarté des voyelles et donne à l’aigu une puissance disproportionnée, par rapport au reste de la voix. Mais quand la soprano moldave retrouve une légèreté et une finesse d’attaque lui permettant chiaroscuro et forte/piano, se dessine enfin le charme d’une héroïne sûre de son ascendant.
Dovlet Nurgeldiyev est un Nemorino de grande classe, superbe d’homogénéité, avec une technique, un timbre et un phrasé de qualité. Seul déçoit le très attendu « Una furtiva lagrima », moins souverain et émouvant qu’espéré.
Enfin, dominant le plateau, le Dulcamara d’Adrian Sampetrean a tout pour lui : une superbe voix de basse chantante, longue, homogène, tour à tour veloutée ou tonnante, une excellente technique, une diction remarquable, y compris dans le canto sillabato le plus débridé, et une vis comica très fine, alliée à une grande fantaisie scénique et à un réjouissant sens du second degré.
Avec l’équipe « jeunes solistes », vue le premier soir, force est de constater que le spectacle ne fonctionne pas aussi bien. Laurène Paterno, convaincante Despina dans Cosi fan tutte, au Théâtre des Champs-Élysées, en mars dernier, n’a pas tout à fait l’envergure d’Adina : la voix est certes solide, quoique faible dans le grave, mais elle sonne dure, pas très nette de diction, avec un aigu souvent pris en force, pour un personnage manquant de charme, comme d’autorité naturelle.
Jean Miannay, parfait Beppe dans Pagliacci, suite au Concours International de Chant de Clermont-Ferrand 2019, est un Nemorino au joli timbre léger, touchant par sa fragilité. Mais il atteint vite ses limites de puissance, et « Una furtiva lagrima » le trouve trop prudent pour vraiment convaincre, malgré de belles demi-teintes et une habile messa di voce sur la cadence finale.
Raphaël Hardmeyer possède, sans doute, l’abattage d’un Dulcamara, mais pas vraiment la voix : l’aigu, systématiquement en arrière, frôle constamment l’accident. Aslam Safla, Belcore de grand relief scénique, inquiète dans son entrée où, sans doute à cause du trac, le soutien se dérobe, mais il retrouve, par la suite, un instrument sonore et brillant. Enfin, présente tous les soirs, Aurélie Brémond offre une piquante Giannetta.
THIERRY GUYENNE