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Lakmé chante à Liège

12/10/2022
© Opéra Royal de Wallonie-Liège/Jonathan Berger

Théâtre Royal, 1er octobre

On ne saurait reprocher à Davide Garattini Raimondi de manquer d’idées sur Lakmé. Sauf que, comme dans Norma, déjà à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, en 2017 (voir O. M. n° 134 p. 48 de décembre), leur réalisation s’avère extrêmement inégale.

Le dispositif du I séduit : un décor de morceaux de statues de divinités hindoues et de plantes, taillé dans du bois clair ; une volée de marches ; des costumes indiens traditionnels et des colliers de fleurs, colorés mais sans rien de clinquant ; le tout baignant dans une jolie lumière jaune safran. On est moins convaincu par l’irruption, dès le Prélude, d’un Gandhi plus vrai que nature, incarné par le comédien Rudy Goddin. Dhoti blanc et sandales, bâton de marche à la main, il vient s’asseoir, sur le côté de la scène, entouré d’un groupe d’enfants, et se met à tourner son fameux rouet.

Il n’est pas besoin de lire la note d’intention, publiée dans le programme de salle, pour comprendre que Davide Garattini Raimondi veut établir un parallèle entre Lakmé et l’histoire de l’Inde : le jeune Gandhi (13 ans, au moment de la création de l’opéra) découvre, dans les péripéties de l’intrigue, matière à alimenter sa future réflexion sur la non-violence et les moyens, pour son pays, d’accéder à l’indépendance. L’idée, hélas, n’est pas développée de manière constructive, et chaque apparition du Mahatma fait l’effet d’un cheveu sur la soupe, à l’instar des projections de ses maximes (« La vraie beauté, après tout, réside dans la pureté du cœur », « Dieu n’a pas de religion »…).

On sait également, depuis Norma, le goût de Davide Garattini Raimondi pour les chorégraphies, y compris quand le livret n’en prévoit pas. Dès le Prélude, qui ne gagne pas à être mis en scène, trop de mouvements dansés, trop de pantomimes viennent ainsi parasiter l’action et la musique (les enfants faisant le guet pendant le grand duo entre Lakmé et Gérald, au II, par exemple).

Impossible, enfin, de ne pas évoquer la principale transgression de cette production, pour le reste globalement fidèle : la transposition du III dans « un club-house anglais typique », pour reprendre l’expression de Davide Garattini Raimondi, qui a jugé « qu’un lieu fréquenté uniquement par des Anglais pouvait être la cachette parfaite pour les deux personnages ». A priori, rien ne s’y oppose, sinon la lettre du livret, qui fait explicitement référence à un « toit de verdure ». Mais rien ne lui donne du sens, surtout dans ce décor et ces lumières d’un vert uniforme et agressif.

Musicalement, les motifs de satisfaction sont nombreux, à commencer par la belle prestation des chœurs, préparés par Denis Segond, et de l’orchestre maison. Frédéric Chaslin dirige l’édition intégrale de la partition, avec énormément de flamme et de passion – peut-être trop, la fosse couvrant parfois le plateau.

Contrairement à l’Opéra-Comique, au même moment (voir plus loin), l’Opéra Royal de Wallonie a opté pour la version avec récitatifs chantés qui, davantage encore que celle avec dialogues parlés, exige des voix de qualité pour les seconds plans. Celles réunies à Liège sont médiocres, à l’exception de la probe Mallika de Marion Lebègue et du sobre Hadji de Pierre Romainville.

Côté trio principal, Lionel Lhote, triomphant d’improbables couvre-chefs, campe un excellent Nilakantha, au phrasé plein de noblesse et à la ligne surveillée. Philippe Talbot joue habilement de ses qualités de timbre et de diction, ainsi que de sa facilité dans l’aigu, pour compenser son manque d’ampleur dans la projection. Pour son ténor lyrique léger, Gérald, plus proche de Roméo et Des Grieux que de Chapelou (Le Postillon de Lonjumeau) ou du Comte Ory, marque une limite à ne pas dépasser.

Jodie Devos, enfin, domine les débats. Depuis sa prise de rôle, à Tours, en 2017, la voix de la soprano belge a beaucoup gagné en rondeur et en densité dans la partie inférieure du registre, sans rien perdre de sa fraîcheur. Sensuelle, variant les climats et les couleurs à l’infini, avec de sublimes pianissimi dans l’aigu, sa Lakmé atteint les cimes dans la « Prière » du I, la partie centrale du duo du II (« Dans la forêt près de nous ») et le finale (irrésistible « Tu m’as donné le plus doux rêve »).

L’air « des clochettes », en revanche, après une envoûtante vocalise a cappella, manque d’aisance dans les enchaînements de notes piquées, comme si l’instrument avait perdu un peu de sa légèreté aérienne. Rien de rédhibitoire pour continuer à chanter Lakmé, mais de quoi s’interroger sur une possible évolution de la carrière de Jodie Devos vers des emplois plus lyriques que virtuoses : Leïla (Les Pêcheurs de perles), Pamina (Die Zauberflöte)…

RICHARD MARTET


© Opéra Royal de Wallonie-Liège/Jonathan Berger

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