Opéra, 9 février
Les contraintes qui continuent de s’abattre sur le spectacle lyrique avaient de quoi décourager. C’est pourquoi il faut saluer la ténacité de l’Opéra de Marseille et de son directeur général, Maurice Xiberras. Ils ont maintenu cette reprise de Die Walküre, en adaptant la mise en scène de Charles Roubaud, créée en 2007.
L’orchestre est installé sur le plateau, dissimulé par un rideau, sur lequel les projections vidéo suggèrent ou escamotent lieux et accessoires : arbres figurant la forêt profonde, à l’acte I ; murailles de marbre pour le palais des dieux, au II ; branches agitées par la tempête, puis rochers escarpés, au III. Les armes (l’épée de Siegmund, la lance de Wotan) apparaissent, se déplacent et se brisent. Les chanteurs évoluent sur un vaste espace, constitué par l’avant-scène et la fosse recouverte.
Le compositeur allemand Eberhard Kloke (né en 1948) a joué les Procuste, en réduisant l’effectif instrumental à une « taille moyenne » : cinquante-neuf musiciens. Le chef germano-indonésien Adrian Prabava, remplaçant Lawrence Foster, maintient la cohésion entre cet orchestre à tant d’égards lointain et les solistes. Sa battue sobre et ample apparaît aux chanteurs, grâce à deux écrans placés au premier balcon, à cour et jardin. Le désappointement dû initialement à la maigreur des cordes se dissipe peu à peu, car les protagonistes bénéficient d’une proximité exceptionnelle avec le public.
Trois chanteurs français imposent leur implication convaincante. Sophie Koch, de sa Charlotte de rêve à une Fricka dont on garde le souvenir, devient une Sieglinde émouvante dans sa condition de femme humiliée, puis appelée à l’amour, sans que sa voix de mezzo souffre de la tessiture du grand soprano requis.Nicolas Courjal, à la différence de tant de Hunding élémentaires, campe un tyran domestique méprisant et rusé, ennemi impitoyable des Wälsungen. L’un et l’autre articulent et projettent un allemand parfait.
Aude Extrémo, enfin, assène une Fricka sonore, dont on souhaiterait seulement quelques moments piano, car il arrive à l’impitoyable gardienne de la fidélité conjugale de ne pas invectiver son divin époux, mais de le persuader.
Le ténor autrichien Nikolai Schukoff a la voix de miel, les couleurs dorées, la vaillance et le bien-chanter de Siegmund. L’héroïsme de « Ein Schwert verhiess mir der Vater », les élans lyriques de « Winterstürme wichen dem Wonnemond », sa dignité dans la grande scène du II, où il refuse d’accompagner Brünnhilde vers les félicités éternelles du Walhalla, sa tendresse envers Sieglinde épuisée signent une magistrale interprétation.
Le baryton-basse coréen Samuel Youn, wagnérien confirmé, possède la complexité de Wotan, dieu pessimiste et déchiré. L’affrontement contraint avec sa fille aimée, les « Adieux » bouleversants, emportent au plus haut de l’émotion. La soprano allemande Petra Lang, après un « Hojotoho ! » pas si haut, finit par s’échauffer en Brünnhilde, et ménage de nobles accents pour « Siegmund ! Sieh’ auf mich », sa compassion pour Sieglinde et son amour fusionnel pour Wotan.
Bustiers-cuirasses argentés, perruques platine, les huit Walkyries forment un ensemble assez dissipé. Leur entente vocale et la précision de leurs répliques ne se laissent pas entraver par l’agitation qu’on leur impose.
Les projections sur un rideau de scène permettraient tous les effets. Pourquoi les lumières de Marc Delamézière et les vidéos de Camille Lebourges se privent-elles d’une « Chevauchée » de… chevaux dans le ciel tourmenté, comme aux temps anciens du cyclorama ? Sans Grane, son destrier, Brünnhilde doit donc se charger de porter Sieglinde défaillante, tandis que ses sœurs vont à pied parmi les rocs anguleux.
Au bout de quatre heures trente-deux, entractes et coupures compris, le public acclame les artisans de cette rude entreprise.
PATRICE HENRIOT