Opéras La traviata à Rome
Opéras

La traviata à Rome

31/07/2025
Corinne Winters. © Opera di Roma/Fabrizio Sansoni

Terme di Caracalla, 23 juillet

Dans la conception de Sláva Daubnerová, le corps de Violetta, progressivement détruit par la maladie, devient la métaphore de sa psyché, ravagée par des abus sexuels subis durant l’enfance et par les années de prostitution qui ont suivi – une activité devenue pour elle un moyen de survie instinctif. L’histoire est racontée du point de vue de la protagoniste et se concentre d’une part sur sa souffrance liée au mal qui la ronge et à la réprobation sociale du commerce sexuel ; d’autre part sur sa profonde solitude. Sous ce dernier aspect, la metteuse en scène slovaque semble se référer davantage à Dumas qu’à Verdi : Marguerite Gautier, l’héroïne de La Dame aux camélias, quitte la vie dans un total abandon, sans secours ni compassion ; une fin brutale que n’adoucit aucune réconciliation. Ici, la réconciliation n’existe que dans le délire précédant la mort de Violetta, qui croit voir Alfredo et Germont venus lui apporter du réconfort – simples projections de son imagination.

La scène est dominée par un immense buste de femme acéphale, transpercé par un éclat fiché dans la poitrine. Placé initialement de côté, le monolithe est ensuite déplacé au centre, révélant une longue fente qui s’ouvre dans le troisième acte pour accueillir la scène finale. Pour le reste, les éléments scéniques (l’esquisse d’un intérieur : un pan de mur formant un angle droit, percé de portes-fenêtres ; un piano ; un canapé…) sont réduits au strict minimum et – à l’exception de Violetta – le jeu d’acteur, enrichi de quelques chorégraphies, se caractérise par un traitement scénique marqué par une figuration symbolique et une immobilité expressément choisie ; à l’instar des costumes, qui privilégient une stylisation plus évocatrice que descriptive.

Corinne Winters confirme ici ses qualités exceptionnelles de chanteuse-actrice. Vocalement, elle fait preuve d’une émission maîtrisée, à la fois ronde, chaude et puissante, d’une diction irréprochable, d’agilités fluides dans le premier acte, mais aussi d’un timbre riche et profond dans le reste de l’ouvrage. Du point de vue théâtral, elle incarne avec une rare intensité la transformation progressive de Violetta – de femme fatale provocante à ménagère campagnarde apaisée, jusqu’à un finale saisissant où son corps semble littéralement amaigri et desséché, totalement dépouillé de cette insolence sexy et provocatrice qui nous avait frappés au premier acte. 

L’Alfredo de Piotr Buszewski se situe à des années-lumière de ce niveau : gauche sur le plan scénique, il dispose en théorie de moyens vocaux intéressants, mais ceux-ci sont totalement gâchés par une émission aléatoire, une prononciation très approximative et un phrasé qui aplatit systématiquement les signes d’expression prévus par le compositeur.

Luca Micheletti offre, comme toujours, un jeu très soigné et expressif ; sur le plan vocal, comparé à son récent Germont genevois (voir p. XXX), le baryton italien paraît en bien meilleure forme, avec un timbre riche et moelleux, un phrasé éloquent et une diction ciselée ; les extrêmes aigus, toutefois, manquent encore un peu de projection. Les seconds rôles sont honorablement tenus, et le chœur excelle, bien que partiellement pénalisé par l’acoustique peu favorable du lieu – que l’amplification ne parvient pas toujours à corriger, bien au contraire…

Francesco Lanzillotta semble avant tout soucieux de garantir l’équilibre entre fosse et plateau. Conscient que dans un espace en plein air, les nuances instrumentales tendent à se perdre, il concentre son attention sur le choix des tempi, souvent très retenus, et sur certains détails de phrasé qui captent l’intérêt. Une direction remarquable, en somme, qui confirme le talent et la fiabilité du chef romain.

PAOLO DI FELICE

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