De Nationale Opera, 21 novembre
Les occasions d’entendre La Pucelle d’Orléans et plus encore de voir l’œuvre sur scène, restent sporadiques pour ne pas dire rarissimes. Même le Bolchoï a attendu 1992 avant de représenter cet opéra créé au Mariinsky le 25 février 1881. On attendait donc avec impatience la nouvelle production du Nationale Opera, donnée en coproduction avec le Met et confiée à un tandem russe.
Dirigeant un Nederlands Philharmonisch Orkest des grands jours, et les excellents chœurs maison en version renforcée, Valentin Uryupin démontre une fois encore ses affinités profondes avec ce répertoire : à 40 ans, il a six opéras de Tchaïkovski à son répertoire, et c’est la deuxième production qu’il dirige de La Pucelle. Entre ceux qui justifient l’oubli dans lequel est tombé l’ouvrage car ce serait tout simplement un « mauvais opéra » et ceux qui nuancent en le qualifiant de « mauvais opéra avec de la bonne musique », Uryupin donne, d’éclatante façon, raison aux seconds.
Si la partition ne contient pas à proprement parler de musique « russe » – en accord avec le sujet, Tchaïkovski s’inscrit ici dans un style proche du « grand opéra » à la française –, elle n’en est pas moins riche de scènes de foule colorées et de grands passages orchestraux que le chef fait sonner avec un sens du grandiose qui n’empêche pas le soin du détail.
La principale faiblesse de l’œuvre vient probablement du livret, adaptation par le compositeur de la pièce de Schiller qui inspira également la Giovanna d’Arco de Verdi : certaines scènes peuvent sembler trop longues, d’autres trop courtes. Et l’histoire d’amour entre Jeanne et Lionel, évoquée par Schiller et abandonnée par Solera pour Verdi (qui préfère rendre Giovanna amoureuse du roi Charles), semble pesante et à contretemps.
Loin de résoudre ces faiblesses, la mise en scène de Dmitri Tcherniakov, qui avait signé ici de mémorables productions de Kitège et du Prince Igor, alourdit encore le propos. Toute l’action, chronologique dans le livret, est reconfigurée comme une suite de flash-back pendant le procès de Jeanne, avec à la clé une unité de lieu (une vieille salle d’audience lambrissée, aussi large qu’un hall de gare, avec les vieux bancs de bois du public, le pupitre des juges et une très contemporaine cage pour l’accusée) et une unité de temps (même si une immense horloge murale tourne en avant, en arrière ou en accéléré et que des surtitres indiquent une improbable chronologie par semaines). L’idée du metteur en scène est de tout recentrer sur le point de vue de Jeanne.
Si le décor éblouit d’abord et que la transposition peut, intellectuellement, se tenir, on déchante vite. L’univers visuel s’avère forcément limité (la seule variation est une rotation du décor d’un quart de tour au début de chaque acte), la direction d’acteurs manque plus d’une fois de finesse, et cette uniformité ne permet pas la lisibilité requise pour une œuvre aussi rare. Comme conscient de tourner en rond, Tcherniakov n’a d’autre ressource que de recourir à quelques poncifs du « Regietheater » qui laissent une impression de malaise et de déjà-vu : dégradation et violence, avec une Jeanne contrainte à un examen gynécologique, puis portant un maquillage dégoulinant voisin de la Cleopatra prostituée du Giulio Cesare du même Tcherniakov à Salzbourg l’été dernier, et s’enfermant dans une longue scène de folie jusqu’au bûcher présenté comme une immolation.
L’ensemble de la distribution mérite des louanges, et tout particulièrement un formidable Allan Clayton (Charles VII gagné par la folie), un impeccable Andrey Zhilikhovsky (émouvant Lionel), un toujours impressionnant John Relyea (inflexible Archevêque) et le solide Gábor Bretz en père intraitable. Mais aussi et surtout Elena Stikhina, puissante, expressive, d’une intonation très sûre et avec les talents de comédienne qu’on lui connaît, particulièrement sollicités ici. C’est tout à son honneur de délivrer autant de beauté vocale dans un accoutrement – pull à capuche, pantalon difforme et doudoune – qui ne fait rien pour la rendre belle. La grâce y est malgré tout.
NICOLAS BLANMONT
Allan Clayton (Charles VII)
John Relyea (L’Archevêque)
Vladislav Sulimsky (Dunois)
Andrey Zhilikhovsky (Lionel)
Gábor Bretz (Thibaut d’Arc)
Oleksiy Palchykov (Raymond)
Patrick Guetti (Bertrand)
Elena Stikhina (Jeanne d’Arc)
Nadezhda Pavlova (Agnès Sorel)
Valentin Uryupin (dm)
Dmitri Tcherniakov (ms/d)
Elena Zaitseva (c)
Gleb Filshtinsky (l)
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