1 CD Alpha Classics ALPHA 1169

Le projet de ce disque est singulier et très intéressant. Il part d’un corpus d’airs de cour – on dit aussi « airs sérieux » –, ce genre majeur de la France du XVIIe siècle, d’un extrême raffinement poético-musical, dont les textes furent adaptés, à l’époque même, par François Berthod, père cordelier. Dans sa préface, citée dans l’excellente notice de Pascal Duc, le religieux explique que, le sujet de ces « beaux airs » étant presque exclusivement d’« amour mondain », « les Personnes devotes se trouvent privez de les chanter », ajoutant : « Cela m’a obligé d’en faire une conversion, en changeant l’objet de ces belles paroles […], & de donner à Dieu ce qu’ils donnaient aux prophanes. » Le mot « conversion » n’est évidemment pas employé au hasard ! Quelques mots changés suffisent souvent, comme pour le « J’aime, je suis aimée » de Lambert, dont le second couplet devient : « J’aime, je suis aimée : je goûte nuit et jour / Mille et mille plaisirs dont Jésus-Christ m’enflamme. » D’autres airs, comme le beau « Je m’abandonne à vous » de Le Camus, figurent au programme avec leur texte d’origine. Pour renforcer le jeu de miroirs entre sacré et profane, amour terrestre et amour divin, ces pièces sont disposées autour de deux Miserere, pour trois voix de dessus et orgue, l’un de Louis-Nicolas Clérambault, l’autre de Jean-François Lalouette, d’une rare sensualité d’écriture, tant par l’entrelacs des voix que par l’ornementation.
L’interprétation est tout simplement délicieuse, comme une parfaite démonstration de la théorie sensualiste, typique de la Contre-Réforme, de l’édification par les plaisirs. Dans les Miserere, les timbres des trois sopranos de l’ensemble La Néréide se mêlent ou se répondent avec une totale sororité, sans que l’on cherche souvent à savoir qui chante quoi. Dans les airs à voix seule, chacune apporte une couleur spécifique, un peu plus candide chez Julie Roset, plus charnelle avec Ana Vieira Leite, plus grave chez Camille Allérat, mais c’est toujours la grâce (dans tous les sens du terme) qui s’impose, portée par un continuo enveloppant.
Seule réserve : les textes, dont on a dit l’importance du message, et prononcés ici en français « restitué », ne sont pas toujours très aisés à suivre, en partie sans doute en raison de l’assez généreuse réverbération qui nimbe cet enregistrement, réalisé en octobre 2024 dans la Basilique Sainte-Marie-Madeleine de Saint-Maximin, d’une aura sacrée par ailleurs bienvenue.
THIERRY GUYENNE
Clérambault – Lalouette – Lambert – Lully – Du Parc – Chabanceau de La Barre – D’Ambruis – Le Camus
Camille Allérat, Julie Roset, Ana Vieira Leite (sopranos)
Miguel Henry (théorbe, luth) – Salomé Gasselin (viole de gambe) – Emmanuel Arakélian (orgue)1 CD Alpha Classics ALPHA 1169