Fondation Stavros Niarchos, 29 janvier
L’intrigue de La forza del destino contient assez de péripéties pour qu’il soit utile d’en ajouter d’autres au motif de l’éclairer. C’est pourtant le choix qu’a fait Rodula Gaitanou à l’occasion d’une nouvelle production de cet ouvrage présentée par l’Opéra National de Grèce. Un film projeté pendant l’ouverture nous montre une mère, sa fille déjà adolescente et un bébé. Arrive un cardinal qui enlève l’enfant des bras de la mère pour le confier à la jeune fille. Celle-ci, au premier acte, va se révéler être Leonora, et c’est son jeune frère Carlo (le bébé du film) qui, en jouant, tuera accidentellement le cardinal. Ce dernier était-il le père de Carlo ? Leonora, la mère de Carlo ? Et si elle était aussi la fille du cardinal ? Le film permet toutes les hypothèses.
La confusion vient du fait que le cardinal et le Padre Guardanio, à qui Leonora vient demander secours au deuxième acte, sont interprétés par le même chanteur (Petros Magoulas, d’une autorité marmoréenne) : le destin de Leonora la pousserait donc à chercher le réconfort chez celui qui a causé son malheur ? À voir réapparaître sous d’autres traits celui qu’elle a vu mourir ? Au fil de l’opéra, Leonora va suivre une démarche sacrificielle : on la voit par exemple adopter une pose christique sur une croix, ce qui permet à sa mère d’apparaître comme une Vierge et de la prendre dans ses bras à la manière d’une pietà.
Pour le reste, à ces deux ou trois idées dramaturgiques ne répondent que peu d’idées théâtrales. Les chanteurs font ce qu’ils ont toujours fait, multiplient les poses emphatiques, le comble étant atteint au moment des scènes de duel entre Alvaro et Carlo, réglées d’une manière approximative. Le chœur, d’une belle couleur et d’une grande homogénéité sonore, se déplace en revanche avec adresse, notamment durant le « rataplan », très réussi, qui le voit marcher comme un vrai corps d’armée. Il est vrai que le programme de salle précise que Dimitra Kastellou est venu apporter sa contribution pour les « mouvements », et sans doute en particulier pour ceux du chœur.
Si le spectacle est tenu, c’est grâce à la fermeté de la direction musicale de Paolo Carignani, qui sait jouer des contrastes entre pages chorales et moments d’intimité, et met à profit l’équilibre entre la fosse et le plateau permis par l’acoustique très favorable de la salle. Les cuivres n’étouffent jamais les cordes, la harpe et la clarinette se détachent avec naturel.
Sur scène, s’il est difficile d’imaginer qu’il est le petit garçon du premier acte, Dimitri Platanias a les moyens vocaux de Carlo. Le récit au cours duquel il expose son plan de vengeance (« Son Pereda ») est mené avec une éloquente intelligence dramatique, et son air « Urna fatale », abordé avec une grande aisance, traduit un art du legato qui permet de belles nuances. On n’en dira pas tout à fait autant de Marcelo Puente, Alvaro percutant qui se contente la plupart du temps, notamment dans les duos, de produire du son. La projection n’est pas tout, et il faut attendre « Della natal sua terra », au III, pour que le ténor oublie ses facilités et donne du corps aux tourments d’Alvaro.
Magnifique de bout en bout, Cellia Costea incarne une Leonora résignée, sans être plaintive. Elle aborde son rôle comme un vaste lamento à la ligne nettement dessinée, sans aucune stridence dans l’aigu, qui culmine en toute logique dans un ultime « Pace, pace » chanté avec une douceur poignante. Yanni Yannissis est pour sa part un Fra Melitone enjoué, qui ne donne jamais dans la caricature, et Oksana Volkova une Preziosilla qu’on aurait aimée plus insinuante, même si sa voix légère la préserve de tous les écueils. Les rôles épisodiques concourent eux aussi à la réussite musicale et vocale de cette Forza inutilement entortillée.
CHRISTIAN WASSELIN