Opéras La Damnation de Faust au TCE
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La Damnation de Faust au TCE

07/11/2025
Christian Van Horn et Benjamin Bernheim. © Vincent Pontet

Théâtre des Champs-Élysées, 3 novembre

Silvia Costa dit avoir beaucoup hésité avant d’accepter la proposition qui lui était faite de monter une œuvre dont les particularités paraissent répondre pourtant à sa conception du théâtre lyrique, dépouillé de la narrativité comme de la recherche psychologique qui sont celles de l’opéra classique (voir O. M. n° 216 p. 24). De l’ancienne collaboratrice de Romeo Castellucci, on pouvait en effet attendre une transposition visuelle en images fortes et plastiquement séduisantes, indépendamment de la donnée textuelle. Las, l’œuvre s’ouvre sur le misérable logement de Faust, aux minces parois de bois, encombré d’un pauvre mobilier contemporain et de divers chiffons et joujoux jonchant le sol et le lit où il repose. Ce cadre ascétique éclate brutalement à la fin de la première scène, dégageant un plateau large mais toujours aussi pauvrement occupé, jusqu’à deux assez beaux tableaux : la « Danse des sylphes », avec une assemblée de figures énigmatiques (mais sans ballet), puis les spectaculaires assemblées du « Pandemonium » et de l’« Apothéose », l’ensemble monumental des chœurs étant posé en tribunal, où tous siègent en costumes de magistrats. Pour le reste, et en dehors encore de quelques effets d’éclairage intéressants à partir de la verrière nouvellement restaurée de la coupole du Théâtre des Champs-Élysées, c’est en effet le désert, avec une direction d’acteurs inexistante, un statisme persistant, nombre de passages à vide et de surprenantes hésitations sur le concept même – notamment le renoncement à présenter une Marguerite « diabolique », complice de Méphisto, ce parti aberrant étant pourtant annoncé encore dans le programme de salle. Découpant l’œuvre en deux parties très inégales (1 h 30 puis 30 min), Silvia Costa utilise l’entracte pour faire monter de la fosse sur le plateau les instruments les plus volumineux de l’orchestre, et installer la totalité de celui-ci sur un podium placé au second plan – avec l’inconvénient majeur, entre autres, d’en affaiblir les éclats. Avec des costumes particulièrement laids (Méphisto en bleu de travail, et coiffé d’un béret basque très « franchouillard» ), les acteurs ne peuvent compter que sur leurs ressources propres, heureusement de qualité.

Au premier chef, le Faust de Benjamin Bernheim, dont l’absence pour l’avant-première pouvait inquiéter. Tenant de bout en bout la représentation, toujours admirablement investi, il n’aura cessé d’enchanter par le meilleur de toutes ses qualités bien connues : pure beauté du timbre, perfection de la diction, superbe maîtrise des phrasés, parfaite égalité de la voix dans tout le registre, sans doute moins généreux dans les demi-teintes, mais avec une gestion superlative des forces, alors qu’on pouvait craindre un peu pour cette prise de rôle, plus exigeante que ses précédents emplois. Pourtant peu compréhensible sans l’aide des surtitres, la jeune Russe Victoria Karkacheva séduit par la sensualité et la chaleur du timbre sombre, de belle présence scénique aussi, là où la production la condamne le plus souvent à l’inaction. En très belle forme, Christian Van Horn, dont on pardonnera le léger accent, ne fait pas trop regretter une voix plus légère ou allégée pour « Voici des roses ». Et le Brander de Thomas Dolié est parfait. Mais les autres grands triomphateurs sont les Chœurs de Radio France menés conjointement par Lionel Sow et Joël Soichez, ainsi que la Maîtrise et un orchestre Les Siècles aux riches coloris bien en situation, que le jeune Jakob Lehmann conduit avec intelligence et doigté, attachant et prometteur, sans faire encore oublier les plus grands. Le public leur fait à tous un triomphe mérité, réservant une très copieuse bronca à l’équipe de production, qui conduit à abréger les rappels et achève piteusement une soirée qui aura vu une fois de plus, depuis la création de 1846, et en dernier lieu à l’Opéra National de Paris avec Robert Lepage puis Alvis Hermanis, le renouvellement des échecs parisiens du chef-d’œuvre de Berlioz.

FRANÇOIS LEHEL

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