Festspielhaus, 16 novembre
À l’heure où les restrictions budgétaires réduisent partout les saisons comme une peau de chagrin, il est salutaire de prouver que l’on peut encore faire du très bon opéra en ne dépensant presque rien, ni en costumes, ni en décors, ni même en répétitions scéniques. Dans le cadre de son festival d’automne « La Grande gare », coordonné par Thomas Hengelbrock, le Festspielhaus de Baden-Baden aurait pu se contenter d’une Cenerentola en version de concert. Pourtant, en investissant à peine davantage, il propose une véritable mise en scène, et bien plus efficace que nombre de projets prétentieux vus récemment.
L’orchestre regagne la fosse, alors que, sur scène, les éléments latéraux de la cage en bois habituelle des concerts encadrent tout juste un fond neutre, tantôt noir, tantôt bleuté. Deux canapés, une table et des tabourets – mobilier récupéré d’une récente production de Rigoletto à Bâle – suffisent à occuper le plateau. Les choristes, exclusivement masculins dans La Cenerentola, portent leurs habituelles tenues noires, bousculées par quelques détails insolites, t-shirts colorés, pulls, baskets, et les chanteurs principaux paraissent avoir puisé dans leur garde-robe personnelle, à l’exception des trois rôles féminins, qui bénéficient de créations sophistiquées, prêtées par le couturier Charles de Vilmorin. Quelques éclairages soignés, et surtout la direction scénique de Vincent Huguet, qui libère efficacement la vis comica spontanée des chanteurs, en aiguisant au besoin certaines confrontations et en réglant simplement entrées et sorties, font le reste. Sans surcharge ni relecture superflue, l’ensemble s’impose comme une réussite exemplaire de théâtre musical à peu de frais.
Distribution sans grands noms, mais qui réunit de bons titulaires ayant tous déjà une solide expérience de leur rôle. Difficile de résister à la faconde de l’énorme Don Magnifico de Misha Kiria, qui certes en fait des tonnes, mais à l’autre bout du spectre expressif, le Dandini tout en finesse et nuances d’Edward Nelson n’est pas moins remarquable. Joli couple de tourtereaux, très complémentaire, avec le Ramiro du Sud-Africain Levy Sekgapane, élégant ténor rossinien qui mise beaucoup sur une remarquable virtuosité pyrotechnique, et -l’Angelina de la mezzo russe Maria Kataeva, qui exploite davantage les belles couleurs de son instrument qu’elle ne se concentre sur le délié de vocalises au demeurant toujours proprement gérées. Noble Alidoro d’Adolfo Corrado, qui s’impose sans rien souligner, et en Clorinda et Tisbe, les deux sœurs manœuvrières et chipies, d’excellentes Alice Rossi et Justyna Rapacz.
Une équipe bien soudée, que Thomas Hengelbrock stimule continuellement, direction certes atypique, mais qui exploite la matité particulière des instruments d’époque d’un Balthasar Neumann Orchester en grande forme, pour mieux faire ressortir, par petites touches rapides et précises, les singularités de toutes ces voix, sans jamais les couvrir.
LAURENT BARTHEL
Levy Sekgapane (Don Ramiro)
Edward Nelson (Dandini)
Misha Kiria (Don Magnifico)
Alice Rossi (Clorinda)
Justyna Rapacz (Tisbe)
Maria Kataeva (Angelina/Cenerentola)
Adolfo Corrado (Alidoro)
Thomas Hengelbrock (dm)
Vincent Huguet (ms)
Christoph Forey (l)
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