Opéra Berlioz/Le Corum, 24 mai
Transposition n’est pas mise en scène. Dans cette nouvelle coproduction entre l’Opéra Orchestre National Montpellier et l’Irish National Opera, à Dublin, Orpha Phelan situe l’action de La Bohème quelque part dans le Paris de l’entre-deux-guerres. Le décor de Nicky Shaw, une unique perspective d’arcades, se prête bien à évoquer la barrière d’Enfer, voire le café Momus.
Il paraît, en revanche, trop vaste et quelque peu « piranésien » pour le premier tableau de la mansarde, fonctionnant mieux au dernier, quand Benoît, le propriétaire, vient saisir le rare mobilier de ses locataires impécunieux, ne laissant que quelques caisses et une paillasse, qui serviront de lit de mort à Mimi.
Mais ce réalisme n’est que de surface, et la direction d’acteurs de la metteuse en scène irlandaise se perd dans les détails, oubliant l’essentiel de la tragédie, comme lorsque Marcello s’agite sur le plateau, au lieu d’écouter Mimi lui confier son désespoir.
Quelques trouvailles décalées apportent un peu de fantaisie, dans une vision, au fond, assez conventionnelle, où manque un véritable concept dramatique – la parodie de Marlene Dietrich dans L’Ange bleu (Der blaue Engel, 1930) par Marcello, répondant à une Musetta qui chante sa « Valse », en frac et chapeau claque.
On ne voit guère, en revanche, le sens de ces images de mains s’élevant dans les cintres, à la fin du premier tableau, qui ne peuvent être les œuvres de Marcello, en train de peindre une marine néo-impressionniste. S’agit-il, alors, de la « gelida manina » de Mimi, dont le visage, devant une vitre brisée, sert de rideau de scène ?
La production est servie par une distribution jeune, mais très affirmée. Un peu trop, peut-être, s’agissant de la Mimi d’Adriana Ferfecka, dont la voix chaude et centrale de grand lyrique, aux aigus puissants, siérait mieux à Tosca. La soprano polonaise échoue à faire sentir la fragilité et l’évolution de son personnage, composant, d’entrée de jeu, une Mimi uniformément tragique.
Par opposition, le ténor coréen Long Long – instrument brillant, au registre supérieur facile, mais un peu trop démonstratif dans son air – prend de l’épaisseur, au fil de la représentation, et se révèle très concerné. Voix superbement timbrée, belle allure scénique, le baryton polonais Mikolaj Trabka incarne un Marcello autoritaire, à qui l’on souhaiterait, parfois, davantage de nuances et de tendresse.
La soprano russe Julia Muzychenko, inoubliable Gilda du Rigoletto mis en scène, ici même, par Marie-Ève Signeyrole (voir O. M. n° 177 p. 50 de novembre 2021), ne fait qu’une bouchée de Musetta, aussi brillante dans sa « Valse » que touchante au dernier tableau. Quant à Colline et Schaunard, ils sont remarquablement caractérisés par la basse coréenne Dongho Kim et le baryton britannique Dominic Sedgwick.
Dans la fosse, le chef américain Roderick Cox, nouveau directeur musical de l’Opéra Orchestre National Montpellier, mène son ensemble avec souplesse et fermeté, rendant pleinement justice à la richesse du discours instrumental qui, chez Puccini, mène le drame.
ALFRED CARON