Opéra Bastille, 17 septembre
Avec cette quatrième reprise, La Bohème interstellaire de Claus Guth, si contestée à sa création en 2017, atteint au statut de pièce de répertoire, un peu comme en son temps le Don Giovanni de Michael Haneke. Si, d’évidence, elle a perdu cette authenticité qu’apporte la direction d’acteurs du metteur en scène, on retrouve avec plaisir sa poésie cosmique, ce vaisseau spatial en perdition où le fantôme de Mimi et le souvenir de leurs amours viennent visiter Rodolfo qui, à l’instar de son amante, mourra faute d’oxygène près du vaisseau échoué tandis que tombe sur cette planète inconnue une improbable neige. Certes, le premier acte paraît un peu forcé avec ses cosmonautes qui font jouer au cadavre de leur collègue le rôle de Benoît, brillamment doublé par la basse, mais dès l’apparition du fantôme de Mimi, pieds nus dans sa petite robe rouge, la magie opère. La fête au Quartier Latin où la retraite aux flambeaux se transforme en cortège funèbre de l’héroïne est singulièrement efficace et les deux touches de music-hall, la « Valse de Musette» et le « bal » des Bohémiens au dernier tableau, renforcent par contraste le climat de cet univers uniformément glacé
Nicole Car y retrouve le rôle de Mimi qu’elle assurait à la création. Moins « désincarnée » que ne l’était Aylin Pérez en 2023, sa voix met un certain temps à se chauffer, laissant entendre quelques scories métalliques, et ce n’est qu’à partir des « Adieux de Mimi » qu’elle donne la pleine mesure de ses moyens et de son engagement. Le Rodolfo de Charles Castronovo, à la voix excessivement sombrée, à l’émission tout en force, ne convainc vraiment que dans les passages centraux où il peut faire valoir une certaine musicalité. Etienne Dupuis offre à Marcello son solide baryton bien timbré et une caractérisation un peu sage de son personnage. En Schaunard, Xiaomeng Zhang, de format moindre, paraît en retrait en termes de projection mais ne démérite pas. La Musetta d’Andrea Carroll possède la légèreté requise et une agréable présence théâtrale. La révélation de cette distribution reste le Colline -d’Alexandros Stavrakakis, que sa splendide basse noble promet d’évidence à des rôles de premier plan. Une mention pour l’excellent Franck Leguérinel toujours aussi efficace en Alcindoro et pour le chœur, remarquablement préparé. La direction de Domingo Hindoyan valorise brillamment le jeu thématique, la beauté de l’orchestration et la tension dramatique de la partition la plus délicate de Puccini, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra National de Paris au meilleur de lui-même.
ALFRED CARON
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