Großes Festspielhaus, 21 avril
Pour sa dernière année avant le retour, en 2026, du Philharmonique de Berlin, le Festival de Pâques de Salzbourg termine son alternance d’orchestres avec une phalange assurément respectable mais pas pour autant la plus prestigieuse : le Symphonique de la Radio Finlandaise, qui a pour vertu d’attirer dans la fosse du Grand Festspielhaus un chef dont les apparitions lyriques restent rares mais précieuses (Esa-Pekka Salonen) et qui se montre avec lui d’une souplesse et d’une ductilité exemplaires.
Ensemble, ils avaient déjà rôdé en concert à l’été 2024 à Helsinki et Stockholm cette Khovanchtchina donnée, comme de coutume, dans l’orchestration de Chostakovitch et avec le finale de Stravinsky : la partition est toutefois complétée ici d’un fragment rétabli par le musicologue Gerard McBurney, mais aussi, comme dans l’art du kintsugi japonais où l’on souligne d’un filet d’or les réparations, de quelques paysages sonores électroniques (qualifiés de « sound design ») signés Tuomas Norvio, un spécialiste de l’exercice. Les puristes y verront sans doute un manque d’orthodoxie, mais ces passages représentent une façon douce de rappeler le chaos ambiant du livret.
La direction de Salonen se révèle une merveille de façonnage et de sensualité, son sens narratif semble inné et les quelques « arrangements » annoncés se traduisent notamment par un discret enrichissement de la pâte sonore avec des claviers (piano et célesta) et des percussions qu’on n’y entend pas toujours (glockenspiel notamment).
À la faveur de cette étape salzbourgeoise, l’équipe a été rejointe par Simon McBurney, frère de Gerard, pour une éblouissante réalisation scénique proposée en coproduction avec le Met. Comme dans la récente production de Calixto Bieito, donnée d’ailleurs avec la même décoratrice Rebecca Ringst (voir O .M. n° 212 p. 60 de mai), il y a ici actualisation de l’action. Mais là où la lecture genevoise du Catalan était juxtaposition et confusion, tout apparaît logique et cohérent dans la mise en scène du Britannique.
Chaque élément de décor, chaque costume, chaque action sont porteurs de sens et concourent à une véritable continuité, avec un souci constant de lisibilité. Innervé d’une remarquable direction d’acteurs, le spectacle met en évidence chaque confrontation, chaque ensemble, et les interactions des solistes et des chœurs sont autant de moments forts, le tout nourri d’un sens dramatique qui n’empêche pas de vrais moments de beauté visuelle – le lever de soleil sur la Moskova, splendide même sur un champ de bataille encore jonché de cadavres. McBurney préserve même, mais sans kitsch, ce qu’il faut de dimension folklorique russe, et sa chorégraphie des Danses persanes est à la fois plastiquement belle et théâtralement pertinente.
On est ébloui par la Marfa de Nadezhda Karyazina, à la fois juvénile d’allure et vocalement très mûre ; capable d’être tour à tour charnelle et inaccessible, la mezzo-soprano russe respecte en outre la dimension fantastique du personnage sans jamais tomber dans le grand-guignolesque. La famille Khovanski est très fidèlement servie avec l’Ivan puissant de Vitaly Kovalyov et l’Andreï exalté de Thomas Atkins. Remarquables également, le Golitsyne très clair de Matthew White, le Chaklovity tranchant de Daniel Okulitch et le Scribe idéal du toujours impeccable Wolfgang Ablinger-Sperrhacke. Ain Anger se révèle un Dossifeï plus subtil et manipulateur que terrifiant, une composition globalement convaincante même si l’on peut préférer les résonnances caverneuses qu’offrent certaines autres incarnations du rôle.
NICOLAS BLANMONT