Opéras Joueur intense à Martina Franca
Opéras

Joueur intense à Martina Franca

25/08/2022
© Clarissa Lapolla

Palazzo Ducale, 24 juillet

C’est dans sa version française (celle de la première mondiale, à la Monnaie de Bruxelles, le 29 avril 1929) que le Festival della Valle d’Itria donne Le Joueur. Un opéra composé par Prokofiev, d’après le roman éponyme de Dostoïevski, entre 1915 et 1917, sur un livret en russe, écrit de sa main, dans la perspective d’une création au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg qui ne vit jamais le jour, suite à la révolution de 1917.

Leila Fteita place, au cœur de son décor unique, l’objet même de l’addiction d’Alexeï, le héros : une roulette, dont les chiffres recouvrent les murs et dont le repose-bille occupe le centre du plateau. En hauteur, un miroir reflète les tables de jeu et les mouvements des personnages. De chaque côté, des portes et quelques chaises. Aussi simple soit-elle, cette scénographie est intelligemment conçue, à l’instar des costumes, dont les couleurs (blanc, rouge, vert et noir) rappellent celles du casino.

Mais l’obsession des protagonistes, à la limite de la folie, est surtout visible dans leurs gestes saccadés et leurs visages peints en blanc, qui leur donnent une allure mi-fantomatique, mi-clownesque. Ce sont, en effet, des personnages de farce que met en scène David Pountney, obsédés par le jeu et par les conventions sociales – jusqu’à la dramatique scène finale, où le carcan se fissure pour l’ultime rencontre entre Alexeï et Pauline.

Cette lecture pertinente est bien incarnée sur le plateau. Tout en nous éloignant de la peinture sociale du roman de Dostoïevski, elle nous ramène à l’équilibre entre drame, cynisme et comique, qui parcourt la partition.

La distribution déploie de vraies qualités théâtrales, tout en se montrant inégale sur le plan vocal. La Pauline de la soprano grecque Maritina Tampakopoulos et la Grand-mère de la mezzo italienne Silvia Beltrami la dominent, grâce à de très beaux timbres, ronds, denses, et à une diction assez claire – qualité partagée avec le Général de la basse britannique Andrew Greenan, oscillant sans cesse entre sérieux et comique.

Le français des autres interprètes est, en revanche, incompréhensible. Ainsi de Sergey Radchenko, qui semble pourtant un interprète tout désigné pour Alexeï : la voix est belle, la ligne bien dessinée, et le ténor russe possède l’assurance nécessaire pour porter ce rôle exigeant. Dommage que la langue constitue une barrière aussi infranchissable.

Même problème chez sa compatriote, la mezzo Ksenia Chubunova, le baryton ukrainien Alexander Ilvakhin ou la basse serbe Strahinja Djokic, qui confèrent pourtant le relief attendu à leurs rôles respectifs. Enfin, avec un chœur du Teatro Petruzzelli de Bari enthousiaste et sonore (non pas sur le plateau, mais de part et d’autre de la fosse), la grande scène d’ensemble fonctionne à la perfection, même si, là encore, on ne comprend pas grand-chose au texte.

L’orchestre du Teatro Petruzzelli est sans reproche, sous la direction de Jan Latham-Koenig : on sent une énergie constante partir de la fosse et nourrir l’action, avec une fluidité et une densité impeccables, en particulier du côté des cuivres. Riche, enlevée, cette lecture musicale est en parfaite adéquation avec la conception visuelle de David Pountney, pour un spectacle ne manquant pas d’intensité.

CLAIRE-MARIE CAUSSIN


© Clarissa Lapolla

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