La Cité Bleue, 11 juin
Ouverte depuis mars 2024, la Cité Bleue est placée sous la direction artistique de Leonardo García Alarcón. Elle accueille des concerts et des productions lyriques de formes variées, dans une salle de taille modeste, ce qui est un atout si l’on aime se sentir au cœur des spectacles qui se déroulent sur la scène. Présenté comme un opéra de chambre, une pièce de théâtre musical et un drame sacré par Michel Petrossian lui-même, qui en est le compositeur et le librettiste, Job, le procès de Dieu vient d’y être créé.
Il faut entendre dans le titre à la fois le procès que Dieu intente à Job et celui que Job intente à Dieu. L’argument repose sur le destin de Job tel qu’il est raconté dans la Bible. Job est un homme intègre et prospère auquel Satan, avec l’accord de Dieu, inflige plusieurs épreuves : il va perdre ses biens et ses enfants, puis subir la maladie. Pour autant, il interroge Dieu sans jamais le renier. Et Dieu, à la fin, lui rendra tout ce qu’il a perdu. Aucun des deux ne se résigne à oublier la parole : Dieu observant les réactions de Job, Job ne désespérant jamais de savoir pourquoi il doit endurer le Mal.
Sur cette trame nourrie de différentes traditions, mais aussi d’un livre dont il est l’auteur (Chant d’Artsakh), Michel Petrossian a greffé l’actualité la plus douloureuse : celle du conflit situé dans la région du Haut-Karabagh, disputée entre Arméniens et Azéris. Pourquoi un peuple subit-il les épreuves imposées par Dieu à Job, demande en substance le livret ? Mais faire suivre un dialogue entre Dieu et Satan, puis les interrogations de Job et des siens, par une adresse parodique de Brigitte Bardog (sic) voulant sauver les chiens du Haut-Karabagh, puis du pastiche d’une chanson punk, tient du télescopage peu crédible, même si l’irruption de la réalité est précédée par un bulletin d’information parlé nous préparant à un changement de registre. Et l’arrivée d’une petite fille, symbole de renouveau, est un effet un peu facile qui annonce la réconciliation finale mais provisoire chantée par Job et le chœur : « Ce n’est pas près de s’arrêter. Cela va recommencer. (…) Danse, mon âme, vois ton être épanoui à la lumière. »
Musicalement, Michel Petrossian a voulu redonner à la musique son rôle de religion, au sens littéral du terme (relier par le rituel) en réunissant un petit ensemble fait d’instruments baroques (théorbe, cordes frottées, flûte à bec) et orientaux (qanoûn), mêlés à d’autres instruments à vent, des percussions et un accordéon. Il ne tire toutefois pas grand profit de cette confrontation de timbres : sa musique est retenue, allusive, peu encline au lyrisme, les instruments servant de soutien à une déclamation vocale lente, articulée, avec pour seul moment de relative violence l’ensemble au cours duquel tous se déchaînent contre le pauvre Job.
Léo Margue dirige avec souplesse instrumentistes et chanteurs. Ceux-ci abordent plusieurs rôles (sauf Fabien Hyon, qui incarne Job avec vaillance), Michel Petrossian ayant privilégié les voix féminines, bien sûr pour l’épouse de Job (Gloria Tronel) mais aussi pour certains rôles de Messagers (Mathilde Ortscheidt, Emmanuelle Ifrah) et les voix anonymes du chœur. Halidou Nombre et Ugo Rabec chantent par contraste les deux autres Messagers, et les échanges entre Dieu et Satan, invisibles mais amplifiés, convoquent une tessiture de basse (Ugo Rabec), père noble entre tous, et la voix aux couleurs ambiguës de Mathilde Ortscheidt.
La scénographie se résume à l’essentiel. Les protagonistes, vêtus de costumes d’aujourd’hui, évoluent sur un plancher en forme de lemniscate (un 8 incurvé de part et d’autre) et s’isolent ou se rapprochent en fonction des péripéties de l’action. Quelques accessoires (des sacs, du sable) jouent un rôle mineur, l’essentiel étant souligné par les lumières. Anaïs de Courson suit scrupuleusement le déroulement du livret, mais la musique, comme le spectacle, n’évitent pas une double impression d’étirement et de monotonie.
CHRISTIAN WASSELIN