Rencontre du mois Jean-Louis Grinda
Rencontre du mois

Jean-Louis Grinda

29/04/2025
© Gilles Leimdorfer

À deux mois de l’édition 2025, le directeur général des Chorégies d’Orange dresse un bilan de près d’une décennie à leur tête. Il revient sur les difficultés de financement et explique ses choix pour les années à venir, entre économies et inventivité.

Vous avez pris la direction des Chorégies d’Orange en 2016. Comment se portait le festival ?

En réalité, je ne devais arriver qu’en 2018, mais j’ai été recruté à la fin de l’année 2015, et quelques mois plus tard, le président du conseil d’administration a démissionné, suivi par le directeur de l’époque. J’ai accepté de prendre mes fonctions de façon anticipée, et je me suis retrouvé avec deux saisons déjà préparées par mes prédécesseurs, qui étaient très bien faites, mais aussi avec des difficultés financières importantes, car le festival était – et il est toujours – extrêmement dépendant du succès des spectacles. Cela rend l’équation particulièrement complexe.

À l’heure où certains élus critiquent la dépendance des institutions culturelles aux subventions publiques, vous pouvez témoigner combien un modèle économique reposant essentiellement sur les ressources propres est précaire pour un tel festival…

Oui, et sans argent public, le festival n’existerait pas ! Surtout que le coût du spectacle a énormément augmenté, et qu’en même temps, les pouvoirs publics m’ont demandé de mieux exploiter le théâtre. Auparavant, nous avions quatre représentations d’opéra, que nous complétions avec seulement un ou deux concerts. On nous a dit que cela faisait trop peu pour huit semaines d’occupation, et c’est une bonne chose, car le théâtre antique est un lieu merveilleux. J’ai donc développé l’activité du festival en introduisant notamment la danse et les ciné-concerts, mais aussi les concerts symphoniques avec des chanteurs comme Mika. Je précise que, pour ce type d’opérations, il n’y a pas un euro d’argent public investi : je trouve un producteur intéressé, et cela permet non seulement de gagner de l’argent qui va financer le reste de la programmation, mais aussi de faire découvrir le lieu à de nouveaux publics. Je crois très fort en la puissance de la rencontre avec ce théâtre antique.

Guillaume Tell (2019), une production signée Jean-Louis Grinda. © Philippe Gromelle

Mais en 2018, les Chorégies se retrouvent au bord de la cessation de paiement…

La région PACA, sous la houlette de Renaud Muselier, est alors intervenue et je tiens à leur rendre hommage, car ils ont tout de suite exprimé leur volonté de sauver les Chorégies ! Ils ont repris le festival, qui était une association, et l’ont transformé en Société Publique Locale (SPL), ce qui leur a permis de racheter la marque et d’éponger le déficit.

En 2023, la Cour des Comptes publie un rapport qui souligne les difficultés que connaît le festival. Était-ce un soulagement ?

C’était une bénédiction ! Certains esprits chagrins ont voulu dire que nous avions été épinglés par la Cour des Comptes, mais pas du tout. Le rapport mettait en lumière ce que je répétais depuis plusieurs années, et il nous a permis de faire évoluer le modèle de gouvernance : après six ans de SPL, le conseil d’administration a décidé d’opter pour un Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC). C’est un modèle qui a fait ses preuves et qui nous permettra notamment de bénéficier du mécénat. Le changement était prévu pour ce printemps, mais il y a eu de petites retouches dans le contrat général, donc l’EPCC prendra les rênes du festival le 1er janvier 2026.

En attendant, pour faire face aux difficultés financières, vous avez décidé de réduire la programmation de l’édition 2024…

Nous sommes passés de deux productions d’opéra à une seule en version de concert, car le conseil d’administration m’a demandé de réduire la voilure. Nous avons supprimé Lucia di Lammermoor de Donizetti, ce qui était pour moi une grande tristesse, mais nous avons gardé Tosca en version de concert, ainsi que tout le reste de la programmation. La fréquentation a été exceptionnelle : grâce à l’édition 2024, j’ai réussi à colmater presque l’intégralité du déficit cumulé !

Comment s’annonce l’édition 2025 ?

Pas encore complète, puisque nous revenons à deux opéras, mais seulement avec mise en espace. Comme cette édition n’aura finalement pas lieu sous l’égide de l’EPCC, il m’a été à nouveau demandé d’être prudent et de ne pas gâcher le formidable résultat de l’an passé. Les pouvoirs publics ont montré une telle bonne volonté pour la préservation de ce festival, que nous n’avons pas rechigné. Il faut savoir ne pas insulter l’avenir !

Parlez-nous des deux opéras de cette édition…

Nous présentons deux titres de Verdi : Il trovatore dirigé par Jader Bignamini, avec un cast formidable, notamment Anna Netrebko et Yusif Eyvazov, qui adorent chanter à Orange ; et La forza del destino, une coproduction avec le festival d’Aix-en-Provence, qui rencontre à son tour des difficultés. Le directeur, Pierre Audi, que je connais très bien, avait une production qu’il ne pouvait finalement pas assumer pour des raisons budgétaires, donc j’ai proposé de récupérer les contrats. Il devait monter La Gioconda de Ponchielli, que nous avions programmé il y a deux ans, mais nous avons convenu que les solistes engagés pouvaient chanter La forza del destino, œuvre que – clin d’œil du destin ! – nous devions présenter l’année du Covid en version de concert. La distribution est formidable, avec le maestro Daniele Rustioni.

L’elisir d’amore (2022), une production signée Adriano Sinivia. © Philippe Gromelle

Quels sont les autres temps forts ?

Il n’y a que des temps forts ! Nous aurons le Requiem de Mozart avec Jessica Pratt, Aya Wakizono, Dmitry Korchak et Inho Jeong dirigés par Diego Ceretta, un jeune chef que j’aime beaucoup. Je suis aussi très heureux de proposer un récital avec le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste Guillaume Bellom. Pendant le Covid, nous avions organisé une « Nuit magique » avec des solistes accompagnés au piano, et depuis, je renouvelle chaque année l’expérience. Enfin, je voudrais mettre l’accent sur une pièce absolument méconnue : le Liverpool Oratorio de Paul McCartney, une grande œuvre pour quatre chanteurs lyriques, orchestre symphonique, chœur d’adultes et chœur d’enfants. La partition a été écrite par le célèbre membre des Beatles, qui pose un regard très émouvant sur son enfance à Liverpool.

Le projet Pop the Opera, qui permet à des collégiens et lycéens de créer un spectacle à partir d’arrangements classiques et pop, vous tient aussi beaucoup à cœur…

C’est un projet que j’ai créé et qui rencontre toujours un énorme succès, nous en sommes très fiers ! Plus de 1200 jeunes de la région vont participer à cette édition et se retrouveront sur la scène du théâtre antique, après avoir travaillé sur le projet pendant un an. Certains élèves des éditions précédentes entament aujourd’hui une carrière lyrique, comme Emy Gazeilles !

Comment s’annonce l’avenir des Chorégies ?

Grâce à l’EPCC, les subventions nous sont garanties pour une période de trois ans, et cela change tout, car je vais pouvoir anticiper la programmation. Je peux donc vous dire qu’en 2026, j’ambitionne de programmer trois œuvres lyriques, dont deux mises en scène, je sais déjà à quoi ressemblera l’édition 2027, et je pressens ce que nous ferons en 2028. Certes, il y a des incertitudes : le budget de la France a été voté cette année dans des conditions inhabituelles et la situation internationale s’est dégradée. Mais j’aime dire que je suis sans illusions, donc optimiste !

Propos recueillis par ROXANE BORDE

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