Stavros Niarchos Hall, 26 janvier
Son troisième mandat commence en beauté pour le directeur artistique du Greek National Opera (GNO), Giorgos Koumendakis, avec cette nouvelle production de Falstaff, qui réunit la fine fleur des chanteurs grecs – la soprano roumaine Cellia Costea est l’exception, mais elle appartient, de longue date, à la troupe maison.
La mise en scène de Stephen Langridge, directeur artistique du Glyndebourne Festival Opera, réussit une transposition intelligente, située dans la Grande-Bretagne de l’entre-deux-guerres. La sympathie pour le seigneur déchu, capable d’énergie, de résilience et d’humour, s’accompagne ici d’une vision amusée devant le monde des nouveaux riches et de leurs séides. Jamais la comédie ne tombe dans la méchanceté caricaturale, elle demeure « commedia lirica ».
Les différents décors de George Souglides s’enchaînent sans heurt, d’un pub orné par les portraits du roi Georges VI et, discrètement, de Verdi au temps de sa muse tragique, à une demeure de parvenus, avec salle de sport et murs blancs, caractéristiques de leur aspiration à la distinction. La forêt de Windsor est évoquée (lune immense, enchevêtrement de poutres, suggérant le chêne de Herne), mais la réplique finale de Ford « Poi con Sir Falstaff, tutti, andiamo a cena » reconduit logiquement au pub, où se tiendra l’agape.
Les costumes et les accessoires répondent plaisamment à cette transposition. Comment ne pas apprécier la tenue coloniale de Ford, lorsqu’il se fait passer pour « Messer Fontana », coiffé d’un panama et fumant le havane ? Les affriolantes robes d’intérieur de son épouse ? Les clubs de golf, lien entre l’univers de Sir John et le monde moderne, où le golf est la « savonnette à vilain » ?
Les lumières subtiles de Peter Mumford nimbent la comédie d’une délicate poésie. Dan O’Neill chrorégraphie non seulement la mascarade ultime, mais toutes les scènes de culture physique (acte I, deuxième tableau), ainsi que la danse suggestive que s’offre Alice Ford, pour attiser l’ardeur de son soupirant (acte II, premier tableau).
Le mouvement intérieur est imprimé, de part en part, à l’orchestre et au chœur du GNO (ce dernier préparé par Agathangelos Georgakatos), ardents et nuancés, par Pier Giorgio Morandi. Chef verdien attentif à la dentelle des détails, comme à la justesse des tempi, il veille à ne jamais couvrir les chanteurs.
Le triomphe des femmes est assuré par la voix et la présence de Cellia Costea, Alice Ford qui vient des grands lyriques italiens, mais sait alléger et triller malicieusement. Chrysanthi Spitadi, au mezzo très coloré, n’a rien à lui envier, pour donner à Meg Page un relief inhabituel. Anna Agathonos, en Mrs. Quickly, joue avec une sobriété cocasse. La Nannetta de Marilena Striftobola délivre un « Sul fil d’un soffio eteseo » tout de rêverie mozartienne.
Les hommes, progressivement défaits et confondus, ne sont pas en reste. Dimitri Platanias, authentique baryton Verdi, possède la puissance, l’autorité, mais aussi l’agilité qui lui permet les passages en falsetto (« Io son di Sir John Falstaff ») et le leggerissimo « Quand’ero paggio ». La composition (sinon le régime de vie) reste sobre.
Très vaillant dans son monologue « È sogno o realtà ? », somme de toutes les difficultés, faisant jeu égal avec Falstaff dans leurs duos, Tassis Christoyannis, acteur, diseur et excellent chanteur, campe un Ford de grande classe. Le surprenant numéro de saut périlleux de Vassilis Kavayas sied à un jeune Fenton aux dons d’équilibriste, au demeurant charmant tenore di grazia.
Dans cet ensemble, il n’y a pas de comprimari. Nicholas Stefanou, inquiétant et cupide Cajus, fait merveille, aux côtés de Yannis Kalyvas, percutant ténor de caractère, et Yanni Yannissis, sonore baryton-basse. Le temps a passé depuis Shakespeare : ils n’ont pas la trogne rubiconde et s’apparentent à de petits bureaucrates.
Dans une lettre du 10 juillet 1889, Verdi avait énoncé un principe limpide à Boito : « Il faut que cela semble simple, simple, simple. » La production du GNO y satisfait pour l’allégresse du public.
PATRICE HENRIOT