Opéras Incompréhensible Lulu à Vienne
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Incompréhensible Lulu à Vienne

09/06/2023
© Monika Rittershaus

MuseumsQuartier, Halle E, 31 mai

Certains spectacles, dont les tenants et les aboutissants ont une fâcheuse tendance à échapper à la perception durant le temps de la représentation, laissent circonspect. Cette production de Lulu, projet conjoint des Wiener Festwochen et du MusikTheater an der Wien – ainsi rebaptisé depuis l’arrivée à sa tête de Stefan Herheim, même si le bâtiment, lui-même, conserve son ancien nom – atteint, si l’on ose dire, un niveau encore supérieur, nous plongeant d’abord dans des abîmes de perplexité, puis, assez vite, en vérité, dans la plus totale incompréhension.

Comment, dès lors, en rendre compte, sans prendre la pose du critique offusqué, justement parce que le sens – supposé – de ce à quoi il a, d’ailleurs, choisi d’assister lui a, tout bonnement, échappé ? Car il est, au fond, de sa propre responsabilité de ne pas avoir vu, dans le cadre, par exemple, du Festival d’Automne, à Paris, les créations précédentes de la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas – invitée tout aussi régulière des Wiener Festwochen, et donc a priori familière à leur public – autour de mythes : D’ivoire et de chair, les statues souffrent aussi et Bacchantes.

Il apparaît, en effet, à la lecture du texte rédigé par le dramaturge Armin Kerber dans le programme de salle, que la première mise en scène d’opéra de Marlene Monteiro Freitas s’inscrit dans leur continuité. Par conséquent, ainsi qu’il l’écrit : « Ceux qui connaissent les modèles respectifs de ces deux projets, toujours en tournée, peuvent suivre l’histoire de manière associative ; si vous ne connaissez pas le matériau, vous ne verrez qu’une chorégraphie folle, intense et incroyablement complexe, dont l’arc de tension intérieur vous captive. » Captive, ou surprend, puis lasse, à force de gesticulations et grimaces aussi répétitives qu’insensées, exécutées avec un sérieux inébranlable par huit danseurs/performeurs.

Plus loin : « Marlene Monteiro Freitas invente un cosmos complexe de nombreux petits mouvements simples, qui s’immobilisent à plusieurs reprises et se condensent en images allégoriques. De la facilité ludique avec laquelle le metteur en scène exécute les séquences individuelles de mouvements superposés, accélérés, multipliés et arrêtés, le résultat est un mélange de complexité fragile et d’intensité presque brute, un tour de montagnes russes entre paradis et enfer, ralenti et avance rapide, dans lequel rien n’arrive par hasard. » Soit, mais osons avouer qu’on n’est guère plus avancé avec, que sans, ces commentaires – et en citer l’intégralité n’y changerait pas grand-chose.

Saute surtout aux yeux, dans ce dispositif inhabituel, où l’orchestre est placé en hauteur, au fond du plateau, avec le chef sur une sorte de plongeoir, dominant une scénographie tenant à la fois du gymnase et de la piscine, le défaut récurrent de ce type de proposition : impossible de regarder en même temps les chanteurs, plutôt sous-employés sur le plan théâtral, et les performeurs, entre lesquels les interactions demeurent assez limitées. Tout le monde, chef inclus, porte, en tout cas, les mêmes baskets bleues, ainsi, avec quelques variations, que le même costume noir, aux fils de construction blancs apparents.

Et puisqu’il a été décidé (sans doute avant la disparition, le 14 février dernier, du compositeur Friedrich Cerha, auquel il eût été opportun de rendre hommage, en jouant le troisième acte) de ne donner que les deux premiers – suivis, comme il était d’usage avant la création de la version complétée, en 1979, des deux derniers mouvements de la Lulu-Suite –, le spectacle s’achève sur une étrange pantomime entre une sorte de marionnette humaine, au masque de poupée de porcelaine horrifique, et un homme qui pourrait être aussi bien Jack l’Éventreur que Schigolch, ou n’importe quel autre, passant imperceptiblement des gestes d’une tendresse paternelle à la prédation sexuelle.

Quelle place reste-t-il, dans pareil contexte, pour une interprétation musicale à bien des égards irréprochable ? À la tête de l’ORF Radio-Symphonieorchester Wien, Maxime Pascal fait d’autant plus forte impression qu’il est constamment visible, à la fois précis et souple, cherchant la clarté, tout sauf froidement analytique, sans sacrifier ni les courbes, ni la complexe densité de l’écriture de Berg.

Le plateau vocal, sonorisé, comme c’est toujours le cas dans la Halle E du MuseumsQuartier, est tout aussi remarquable. À commencer par un trio de vétérans, au sein duquel Kurt Rydl fait ses débuts – à 75 ans ! – en Schigolch d’une noirceur foudroyante. Même réduite à la portion congrue par l’absence du III, la Comtesse Geschwitz permet, une nouvelle fois, à Anne Sofie von Otter d’imposer sa présence singulière. Bo Skovhus, enfin, réitère son Dr. Schön habité par les affres d’une virilité torturée.

Le Peintre de Cameron Becker, aussi limpide qu’ardent, fait de l’ombre à l’Alwa assez monocorde d’Edgaras Montvidas. Quant à l’astre de Vera-Lotte Boecker, il brille dans un registre aigu d’une facilité et d’une précision stupéfiantes. Il est, dès à présent, urgent que sa Lulu au physique ravageur trouve, ailleurs, à s’incarner pleinement.

Mehdi Mahdavi


© Monika Rittershaus

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