Opéras Impressionnante Médée à New York
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Impressionnante Médée à New York

12/10/2022
© Met Opera/Marty Sohl

Metropolitan Opera, 1er octobre

Sans la célèbre brouille entre Maria Callas et Rudolf Bing, en 1958, à propos des ouvrages que la diva pourrait chanter au Met, peut-être Médée n’aurait-elle pas attendu 2022 pour entrer au répertoire de la maison. Pour autant, dans la période moderne, le public new-yorkais n’a pas été entièrement privé du plus célèbre opéra de Cherubini, avec trois versions de concert (Eileen Farrell, en 1956 et 1959, puis Gwyneth Jones, en 1966) et une production du New York City Opera qui, entre 1974 et 1982, a servi d’écrin à Maralin Niska, Marisa Galvany et Grace Bumbry.

Quelques puristes ont regretté le choix de la version avec récitatifs chantés de Franz Lachner (Francfort, 1855) – traduite de l’allemand à l’italien par Carlo Zangarini, sous le titre Medea (Milan, 1909) –, à la place de l’édition française, avec dialogues parlés, de la création (Paris, 1797). Oubliant que la Médée d’origine, conçue pour le Théâtre Feydeau, une salle de dimensions relativement modestes, se serait perdue dans l’immense auditorium du Lincoln Center, avec ses 3 850 places ! Sans même parler de la difficulté à trouver, aujourd’hui, des chanteurs capables de rendre justice aux dialogues.

Pour cette nouvelle production, le Met a fait appel au même trio que pour Norma, en 2017 : Carlo Rizzi au pupitre, David McVicar aux commandes de la partie visuelle, et Sondra Radvanovsky dans le rôle-titre. Le premier se confirme un excellent chef d’opéra, compétent, attentif aux chanteurs, sans toutefois apporter à cette musique la tension tragique qu’elle appelle. Il tire, de surcroît, de superbes sonorités de l’orchestre maison.

Le décor de David McVicar aménage deux espaces : un quadrant « supérieur », délimité par d’imposants murs vert et or, servant à la fois de palais et de temple ; et, trois marches plus bas, un quadrant « extérieur », où Medea et Neris, les « étrangères », passent l’essentiel de l’action. En arrière du premier quadrant, d’immenses miroirs inclinés ouvrent de fascinantes perspectives aux spectateurs – du moins à ceux assis dans la partie inférieure de la salle.

David McVicar sait raconter une intrigue et, comme toujours, sa collaboration avec Sondra Radvanovsky est fructueuse. Il se passe, bien sûr, trop de choses sur le plateau – défaut récurrent de ses mises en scène au Met –, avec, par exemple, ces joyeux marins-danseurs, faisant des exercices de gymmastique sur les tables.

Dans le registre de l’excès, on rangera encore les somptueuses perruques et robes Empire de la cour de Corinthe, ainsi que l’improbable cérémonie de mariage entre Giasone et Glauce, ressemblant à celle de Napoléon Ier avec Marie-Louise d’Autriche. Davantage en accord avec l’implacable tragédie se déroulant sous nos yeux, Medea et Neris sont habillées de robes victoriennes noires, en partie déchirées, faisant référence à la culture steampunk.

Le destin d’une représentation de Medea repose sur les épaules de sa principale interprète. Depuis ses discrets débuts in loco (la Comtesse de Ceprano dans Rigoletto, le 9 décembre 1996), Sondra Radvanovsky n’a pas toujours été bien distribuée au Met. Gutrune (Götterdämmerung), Violetta Valéry (La traviata) et Micaëla (Carmen) étaient ainsi des erreurs d’aiguillage. Medea, reconnaissons-le, rejoint Elena (I vespri siciliani), Elisabetta (Don Carlo), Amelia (Un ballo in maschera), Roxane (Cyrano de Bergerac), Norma et, surtout, les trois « reines Tudor » de Donizetti sur les cimes.

Tout n’est pas parfait, certes, avec un médium manquant parfois de consistance et un phrasé souvent trop vériste. Réserves de peu de poids, au regard d’un instrument remplissant sans problème la salle, d’un aigu d’une beauté et d’une aisance à couper le souffle, et de phrases pianissimo conduites avec une maîtrise souveraine. Plus la soirée avance, plus la voix de poitrine se libère, la soprano américano-canadienne investissant chaque mot d’une puissante intensité dramatique. L’actrice n’est pas en reste, hantée, possédée presque, d’une présence impressionnante.

Au bilan, une incarnation appelée à marquer l’histoire de l’interprétation du rôle et un triomphe personnel, aussi gratifiant que mérité, pour Sondra Radvanovsky.

Après Don Carlos, en février-mars dernier, Giasone marque, pour Matthew Polenzani, un nouvel accomplissement dans sa conquête d’un répertoire davantage spinto. À 54 ans, le ténor américain n’a plus la suavité de timbre qui caractérisait jadis ses Ferrando (Cosi fan tutte) et Nadir (Les Pêcheurs de perles). Mais il compense par l’expérience, doublée d’une intelligence musicale intacte, brossant le portrait d’un héros arrogant et opportuniste, contre lequel Medea ne peut que déchaîner sa fureur.

Janai Brugger apporte à Glauce le joli timbre et la virtuosité que le rôle réclame. Dommage que le chant de la jeune soprano américaine glisse trop uniformément sur le texte, sans jamais le mettre véritablement en valeur. Le Creonte de la basse italienne Michele Pertusi en impose, avec un vrai sens de la déclamation, mais la voix n’a plus la stabilité nécessaire, au premier acte, en particulier.

Ekaterina Gubanova campe une sympathique Neris, qui recueille des applaudissements mérités, à la fin de son air du II (« Solo un pianto »), accompagné au basson. On n’en oublie pas, pour autant, que la mezzo russe chante cette musique comme si c’était du Wagner ou du Verdi, sans prendre en compte sa spécificité stylistique.

Le chœur maison, enfin, très sollicité, sonne mieux côté masculin que féminin, comme c’est régulièrement le cas, ces derniers temps.

DAVID SHENGOLD


© Met Opera/Marty Sohl

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