Opéra, 8 mai
Constatant que l’œuvre a connu mainte lecture bouffe réussie, Benoît Bénichou a adopté un angle plus sombre en mettant au centre le personnage d’une Comtesse vieillie (jouée par la comédienne Cécile Sohet), qui jette un regard désabusé sur sa jeunesse et donne des fêtes pour tromper son mal de vivre – d’où l’accueil du public sur fond de sono tonitruante ! Tout l’opéra est donc présenté en flashback, après un film où un couple (le Comte et la Comtesse) est à table, silencieux. Éclate alors une dispute d’une rare violence, d’abord verbale, puis physique, le mari jetant à la face de son épouse l’existence d’un fils adultérin, Léon. Cet extrait de La Mère coupable de Beaumarchais, est censé jeter un éclairage nouveau sur les épisodes antérieurs, Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro.
À part que les personnages de ce drame larmoyant et moralisateur n’ont rien à partager avec ceux des pièces précédentes. Le Barbier, écrit presque vingt ans avant, offre en effet le schéma archétypal du vieux barbon entendant épouser sa pupille, laquelle parvient, avec l’aide d’un valet rusé, à partir avec son jeune amant. Un rôle typique de jeune premier que rien, dans le texte, ni surtout dans la musique, ne justifie de montrer comme ici en prédateur mafieux. Autre choix arbitraire, une Berta rivale de Rosina auprès du Comte, devenant carrément une nymphomane omniprésente ! Fiorello voit aussi son rôle scénique étoffé hors proportion, alors que celui d’Ambrogio a été supprimé. Le plus gênant reste que cette lecture ne permet pas de raconter clairement l’histoire, pourtant simple (l’enlèvement d’une jeune femme enfermée par son tuteur), qui n’a aucun sens dans un dispositif scénique avec de savants jeux de lumières et moult changements à vue, où chacun semble entrer et circuler librement. Au centre se trouve une cage de verre, censée symboliser l’enfermement de l’héroïne, où évoluent tour à tour la vieille Comtesse et la jeune Rosina.
L’uniformité blanche des personnages – à part la police intervenant en un rouge éclatant au premier finale, et la Comtesse qui dispose d’une impressionnante garde-robe – avec perruques extravagantes et habits d’un XVIIIe revisité, accroît encore la confusion en n’aidant guère à identifier des personnages aux allures de spectres : référence aux Ghosts of Versailles de John Corigliano, vaguement inspirés, en effet, de La Mère coupable ? On s’étonne aussi qu’Almaviva ne soit pas plus déguisé en soldat qu’en Don Alonso, ce qui fait tomber à plat toutes les péripéties. Le comble de l’absurde est atteint à la fin quand, en place d’un Comte et Figaro introduits par une échelle chez Bartolo pour enlever Rosina, et qui se voient pris au piège lorsque ladite échelle est retirée, tout se joue brusquement sur des canapés, avec tous les personnages soudainement rhabillés en costumes de ville contemporains pour discuter aimablement : comprenne qui pourra !
Heureusement, cela est en partie racheté par la direction vive et efficace de Lucie Leguay, qui parvient à retrouver l’humour qui nous est visuellement et dramaturgiquement refusé, et par la distribution. Vocalement, la plus grande impression nous vient de la voix de bronze d’Adrian Sâmpetrean en Basilio. Marc Barrard est truculent en Bartolo même si c’est un peu trop grave pour son baryton, au canto sillabato habile mais manquant de projection. Gurgen Baveyan est un Figaro hâbleur à souhait, mais son baryton clair manque un peu d’éclat et de puissance, voire, dans « Dunque io son », de netteté dans les traits. Le ténor léger Dave Monaco est en revanche un Comte à la virtuosité à toute épreuve, aux suraigus étincelants, qui le font triompher dans « Cessa di più resistere » mais le trouvent moins à son affaire dans « Ecco ridente », au cantabile assez central.
En Rosina, Lilly Jørstad est vive en scène mais vocalement irrégulière : la voix est jolie, longue et plutôt agile, mais la justesse est par moments problématique. De fait, « Contro un cor » est bien plus réussi que sa cavatine d’entrée. Abstraction faite de l’absurdité de ce qu’on lui fait jouer, Cristina Giannelli est une Berta de luxe, au contre-ut fulgurant dans le premier finale et ne faisant qu’une bouchée de son aria di sorbetto. Bonne voix, enfin, de Thibaut Desplantes en Fiorello, et aussi d’Enrico Gaudino issu du chœur pour les quelques phrases de l’officier. Une drôle de fin de saison.
THIERRY GUYENNE
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