3 CD BR Klassik 900215

En regard de ce que pèse un tel ouvrage en matière d’invention et de génie – celui d’un Mozart de 25 ans qui ose tout et réussit tout –, la discographie d’Idomeneo n’a jamais été débordante. Il a fallu attendre 1988 pour disposer chez Decca d’une version Pritchard cohérente, et même pas déstabilisée par la présence singulière de Luciano Pavarotti. Relais pris, en 2001, par la belle gravure Mackerras, utile compromis entre approche historiquement informée et confort d’écoute. Et puis, parallèlement, les propositions plus acérées de Gardiner (1990) et de Jacobs (2008). Mais ce n’est toujours pas l’abondance.

Cette captation, en décembre 2023, de soirées de concert dans la Herkulessaal de la Residenz de Munich (à deux pas du Théâtre Cuvilliés où l’opéra fut créé en 1781), n’est pas non plus la référence incontournable qu’on pourrait espérer. Il lui manque un Idomeneo plus expressif : Andrew Staples chante et vocalise avec aisance, mais « à l’anglaise », avec une voix blanche et trop réservée. L’autre ténor, le jeune Néerlandais Linard Vrielink, a davantage de choses à dire dans les airs d’Arbace, malgré des moyens fragiles. En revanche, l’affiche féminine s’impose : la délicieuse Ilia de Sabine Devieilhe, voix menue mais sublimement conduite jusqu’à des aigus perlés ajoutés qui séduisent irrésistiblement, l’Idamante de Magdalena Kožená, qui n’a plus l’âge du rôle ni toujours la stabilité requise mais dont l’engagement dramatique demeure total, et enfin l’Elettra d’Elsa Dreisig, timbre plus tranchant mais pas au point de créer le contraste idéal, ce qui rapproche parfois trop les trois voix dans les ensembles.

Et surtout, il y a la hauteur de vue de Simon Rattle, dans l’opéra de Mozart qu’il a le plus dirigé. Avec l’outil prestigieux de l’Orchestre de la Radio bavaroise, servi par une prise de son d’une stupéfiante richesse, aucune ligne ne nous échappe et chaque solo émerveille – quels vents ! Ce qui permet au chef de prendre son temps, au risque de lisser certaines aspérités là où d’autres cherchent davantage de tension dramatique, soupçon de placidité qu’on pourrait lui reprocher, de même qu’un clavecin parfois envahissant, mais à ce degré de splendeur orchestrale, ce serait mesquin. En revanche, la coupure de tout le ballet final est une vraie frustration. Et puis il y a le Chœur de la Radio bavaroise, l’un des meilleurs au monde, dont la splendeur parachève l’édifice. Donc, à défaut de référence ultime, au moins un apport discographique majeur.

LAURENT BARTHEL

Andrew Staples (Idomeneo) – Magdalena Kožená (Idamante) – Sabine Devieilhe (Ilia) – Elsa Dreisig (Elettra) – Linard Vrielink (Arbace) – Allan Clayton (Il Gran Sacerdote) – Tareq Nazmi (La Voce)

Chor und Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, dir. Simon Rattle

3 CD BR Klassik 900215

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