Théâtre Royal, 19 mai
Sur la même formule, tissant le drame personnel avec des données politiques qui renvoient à la réalité de l’Italie contemporaine, mais beaucoup moins bien structuré, le « dramma lirico » I Lombardi (Milan, 1843) reste dans l’ombre de Nabucco, son aîné d’un an seulement. Las, ce n’est pas cette nouvelle production, marquant l’entrée de l’ouvrage au répertoire de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, qui changera la donne.
Sarah Schinasi, dont le palmarès est jusqu’ici modeste, invoque, Dieu sait pourquoi, le psychiatre autrichien Viktor Frankl (1905-1997) dans des notes d’intention passablement confuses, mais ne propose qu’une lecture au tout premier degré et une mise en scène qui mérite à peine ce nom. En effet, la démission totale de la direction d’acteurs ne laisse à voir qu’une succession de tableaux d’un désespérant statisme, les chœurs, omniprésents, restant groupés dans une stricte immobilité ou réduits à des déplacements de quelques mètres, sur des praticables qui glissent parfois modestement vers le public.
Les décors minimalistes se bornent, surtout, à la manœuvre inlassable de deux grands panneaux coulissants pour ouvrir sur la succession des tableaux, complétés par des balcons qui viennent, sur les côtés, offrir des tribunes aux solistes. Un spectacle sans âge, qui ne fait que souligner le décousu du livret et ferait presque douter, à nouveau, de l’œuvre. Dommage pour les beaux costumes de Françoise Raybaud, quand des éclairages sommaires ne viennent pas les dénaturer.
Par bonheur, la partie musicale compense assez largement. On est pourtant un peu inquiet, au I, quand le monumental Pagano de Goderdzi Janelidze déploie sans mesure des moyens considérables, dans son énergique « O speranza di vendetta », et que la Giselda de Salome Jicia paraît sur une réserve prudente, pour un « Salve Maria ! » poliment salué par la salle. En Arvino, Matteo Roma rassure, au contraire, par la parfaite musicalité dont il ne se départira pas, marquant brillamment ainsi son passage de ténor rossinien à lirico.
Tout change, au II, avec l’arrivée de l’Oronte de Ramon Vargas, qui n’est assurément pas une bête de scène mais, du coup, ne dépare pas visuellement dans ce contexte. Si le timbre a perdu de son brillant, comme le souligne la comparaison avec la fraîcheur de son plus jeune Arvino, la maîtrise de la ligne est intacte (« Come poteva un angelo »).
Ayant reconquis toute son assurance, Salome Jicia lui offre un répondant de grande classe, saisissante dans ses imprécations, aux aigus triomphants (« No, Dio no’l vuole »), suivant le parfait legato de « Se vano è il pregare », malgré le ridicule du piédestal sur lequel elle est juchée. Révélant alors un tempérament explosif, avec un abattage sans faille, qui pallie l’inexistence de la production.
Dans ces conditions, les duos du III sont de toute beauté. Et Salome Jicia déploie un talent dramatique intense, volcanique même, concluant triomphalement son vertigineux « Non fu sogno ! » du IV, tandis que Goderdzi Janelidze retrouve pour Pagano, devenu ermite, un chant beaucoup plus nuancé et mesuré.
Avec d’honnêtes comprimari, hors un Acciano passablement essoufflé, et une Sofia un peu en retrait, le niveau vocal est, dès lors, de premier ordre. À quoi s’ajoute la prestation éblouissante des Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, dans des interventions contrastées et diversifiées, que le peu qui leur est demandé scéniquement permet à loisir de déployer – notamment dans « Gerusalem !… Gerusalem ! », au III, avec d’impalpables piani, sous un bien inutile plan de Jérusalem descendu des cintres.
Sous la baguette d’expert de Daniel Oren, qui joue à fond le jeu conquérant du premier Verdi, l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège étincelle, en particulier dans l’éblouissant solo de son premier violon, pour l’étonnant petit concerto de la fin du III, puis l’accompagnement du splendide trio qui conclut. Une salle comble fait un triomphe aux solistes, à l’orchestre et aux chœurs, accueillant beaucoup plus tièdement l’équipe de production.
François Lehel