Haus für Mozart, 5 août
Repris du Festival de Pentecôte, Hotel Metamorphosis adopte la formule du pasticcio baroque, son montage très sophistiqué à la gloire de Vivaldi regroupant des pièces choisies (opératiques ou purement instrumentales) dans l’œuvre surabondante du compositeur, sorties de leur contexte et regroupées dans une sorte de fable moralisante, très sérieuse et même très noire, fondée sur cinq des mythes racontés dans les Métamorphoses d’Ovide – textes traduits en allemand par Hermann Heiser. Le tout présenté et exposé par Orpheus (rôle parlé), dont le sort tragique, y compris pour l’évocation plus rare de sa mort, déchiré par les Ménades, ouvre et ferme cette œuvre nouvelle en deux actes et cinq parties, selon la dramaturgie et le concept très forts d’Olaf A. Schmitt, responsable de l’adaptation avec Barrie Kosky.
L’histoire d’Orpheus encadre donc l’ensemble, rôle parlé splendidement tenu par la grande actrice Angela Winkler. Les cinq épisodes réussissent l’exploit d’exposer des actions et personnages contrastés, parcourant une très large gamme d’affects, qui font résonner aussi, dans le texte puissamment évocateur d’Ovide, des données majeures de l’existence humaine, faites de constantes « métamorphoses » : Pygmalion découvre les pouvoirs magiques de l’art, capable de créer la vie ; le talent supérieur d’Arachne suscite la jalousie de Minerva, la condamnant finalement à tisser inlassablement sa toile d’araignée ; Myrrha succombe aux séductions de l’inceste paternel avant sa transformation en arbre ; Narcissus redit inlassablement le reflet de sa double image, promis à l’éternité de la fleur qui perpétuera son nom.
Barrie Kosky expose ainsi avec une gravité et un sérieux qu’on n’attendait pas forcément de lui – et nonobstant des moments de pure drôlerie – un miroir de l’humaine destinée, qui ne cesse d’émouvoir en même temps que de laisser à penser. Le tout dans une réalisation d’une confondante virtuosité et toujours d’une très grande beauté plastique, dans le décor unique d’une chambre d’hôtel où sont accrochés des tableaux évoquant les différents épisodes, projetés aussi sur de plus petits rideaux de scène faisant transition, dans le dessin raffiné de Michael Levine, non moins subtilement éclairé par Franck Evin. Et avec des compléments tous superlatifs : au premier chef les vidéos du duo rocafilm (Carmen Zimmermann et Roland Horvath), souvent vu ici, mais peut-être à son sommet (notamment dans une ébouriffante succession de visages humains greffés de figures animales), et la chorégraphie d’une vigueur roborative d’Otto Pichler.
Reste à dire la non moins confondante qualité de l’interprétation, dans un casting d’excellence témoignant de la même intelligence des choix. Une éblouissante Lea Desandre, à laquelle la salle fait un triomphe tout particulier, donne une étourdissante démonstration de virtuosité comme de sensibilité, passant de l’émotion frémissante de sa Myrrha aux gazouillements irrésistibles de son Echo, face à Narcissus. La jeune Russe Nadezhda Karyazina, à la silhouette élancée et d’une royale beauté en scène, lui oppose une Minerva, et plus tard une Juno, au mezzo somptueux et richement coloré ; Philippe Jarrousky, de projection limitée mais en très bonne voix et acteur d’excellence, nuance admirablement un Pygmalion aux naïfs émerveillements, avant un Narcissus introspectif et tourmenté, en compagnie de deux fascinants jumeaux, représentation métaphorique de son image au miroir. Cecilia Bartoli, enfin, est une fois de plus tragédienne grandiose, jusqu’à un tableau final véritablement bouleversant, dans le sous-sol d’un Enfer entièrement noir, après soulèvement de l’ensemble de la chambre, hanté par les figures terrifiantes de médecins de la peste aux longs becs de corbeaux.
Autre performant maître d’œuvre, Gianluca Capuano, avec les très brillants solistes de ses Musiciens du Prince – Monaco et le splendide chœur Il Canto di Orfeo, le bien nommé, dirigé par Jacopo Facchini. Plus de quatre heures de représentation devant un public fasciné qui réserve un accueil triomphal à ce travail concluant trois années de préparation, pour ce qui restera parmi les plus parfaites et impressionnantes réalisations vues sur cette scène depuis plusieurs années.
FRANÇOIS LEHEL
.