Opéras Hamlet à Turin
Opéras

Hamlet à Turin

27/05/2025
John Osborn, Clémentine Margaine et Sara Blanch. © Daniele Ratti/Mattia Gaido

Teatro Regio, 22 mai

On sait qu’Ambroise Thomas avait initialement conçu le rôle d’Hamlet pour une voix de ténor. Cependant, le manque d’interprètes d’exception dans ce registre poussa le compositeur, sur l’insistance d’Émile Perrin, directeur de l’Opéra de Paris de l’époque, à modifier la partie pour l’attribuer à un chanteur de talent reconnu, tant sur le plan de la technique vocale que de la présence scénique. Thomas dut donc réécrire son rôle-titre afin de le rendre compatible avec la voix de baryton du célèbre Jean-Baptiste Faure, qui le créa ainsi salle Le Peletier en 1868. Depuis lors, la tradition d’exécution de l’œuvre est restée fidèle à cette version.

Récemment toutefois, la redécouverte de la version originale, éditée par Bärenreiter, restitue au rôle du prince du Danemark le registre de ténor, permettant ainsi de retrouver l’idée authentique du compositeur. John Osborn a été le premier, à Montpellier (voir O. M. n° 185 p. 48 de septembre 2022) à chanter cette version en concert, que le Teatro Regio de Turin met désormais en scène pour la toute première fois. Alors que la tessiture traditionnelle correspond à celle d’un baryton aigu, celle pour ténor est plutôt centrale ; l’écart entre les deux n’est donc pas énorme, mais le timbre de ténor confère évidemment au protagoniste une empreinte plus juvénile.

Osborn en est l’interprète idéal : à une prononciation impeccable s’ajoute un recours fréquent à la voix mixte, modulée par un phrasé subtil et raffiné, riche en nuances. En résulte un Hamlet fragile et introspectif, solitaire et plein d’incertitudes, imprégné d’un tourment existentiel, qui, selon le concept de Jacopo Spirei, aboutit au suicide. Le choix du metteur en scène est intéressant : après que Hamlet s’est poignardé, l’ombre du feu roi pousse sa main à frapper Claudius. La scène finale d’un Hamlet agonisant, qui monte sur un cheval à bascule, symbole d’une enfance évoquée avec nostalgie, reflète un protagoniste incapable de s’adapter à un monde dominé par l’ambition et la soif de pouvoir. Cette représentation donne tout son sens à cette remarquable production, qui, au-delà de la transposition de l’histoire au XIXe siècle, met l’accent sur les anxiétés profondes du protagoniste et son sentiment d’inadéquation.

Dès l’entrée dans le théâtre, avant même que le rideau ne se lève, une quinzaine d’acteurs vêtus de noir, occupés à lire avec des expressions pensives, donnent le ton. Par la suite, nous retrouverons souvent ces figures – en groupe ou même individuellement – mêlées à l’action. Le décor fixe représente un salon au plafond bas, modulé, selon les besoins, par des parois mobiles, qui reconfigurent à chaque fois la géographie de l’environnement, évoquant efficacement la psychologie sombre et labyrinthique d’Hamlet. Dans cette optique, les coupures pratiquées (dont le chœur des comédiens qui précède la chanson bachique d’Hamlet et l’ensemble du tableau champêtre qui ouvre le quatrième acte) ont pour fonction d’atténuer les digressions plus légères et de se concentrer davantage sur les raisons du drame et sur l’univers intérieur du protagoniste et des autres personnages. Il convient toutefois de signaler la pantomime de l’empoisonnement du vieux roi Gonzague, réalisée de façon très évocatrice, avec d’énormes marionnettes habilement manipulées sur des chariots.

À la tête des excellents orchestre et chœur maison, Jérémie Rhorer ne s’attarde pas à distiller des beautés sonores mais vise dès le départ le cœur du drame, accentuant les teintes dramatiques au partiel détriment du lyrisme. Cependant, il ne néglige pas de laisser affleurer les timbres caractéristiques voulus par Thomas, y compris les saxophones (baryton dans la scène de l’apparition du spectre, alto pendant la pantomime, basse dans le monologue de Claudius du troisième acte).

Sara Blanch esquisse une Ophélie tragique et désespérée, vocalement admirable malgré quelques aigus légèrement forcés. Son incarnation scénique est frappante et restitue la nature inquiète et fragmentaire de la scène de la folie, où sa voix se mêle aux interventions instrumentales, évoquant des pensées désormais incapables de s’exprimer verbalement. La Gertrude de Clémentine Margaine affiche une voix très puissante, associée à un tempérament bouillonnant. Riccardo Zanellato, par contre, est un Claudius correct mais faible ; Julien Henric un Laërte élégant. D’un très bon niveau, le reste de la compagnie, à l’exception du feu roi d’Alastair Miles, à l’émission dure et rugueuse.

PAOLO DI FELICE

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