Le dernier enregistrement du Palazzetto Bru Zane, emmené par la direction précise de Jean-Marie Zeitouni et des chanteurs de talent, offre une magnifique version de cet opéra de Massenet, rare en disque.
Dans la biographie qu’il a récemment consacrée au compositeur (éd. Bleu nuit), Gérard Condé présente Grisélidis comme « l’une des partitions les plus attachantes de Massenet, car son charme, loin de s’épuiser, se renforce par des auditions renouvelées ». Créé avec succès à la salle Favart, le 20 novembre 1901, ce « conte lyrique en trois actes et un prologue » a longtemps été oublié. Jusqu’à présent, l’on n’en connaissait que deux enregistrements : le premier, réalisé en 1982 à Wexford, souffrait d’une distribution fort inégale (MRF) ; le second, bien plus convaincant, réunissait, en 1992, sous la direction de Patrick Fournillier, -plusieurs chanteurs français de qualité (2 CD Koch Schwann). Comme toujours, le Palazzetto Bru Zane a bien fait les choses en faisant appel, à Montpellier, au début de l’été 2023, à une équipe parfaitement homogène qui, sous la direction aussi dynamique que sensible de -Jean-Marie Zeitouni, nous donne ici certainement la meilleure -approche qui soit de cette œuvre bien déroutante, pourtant au goût d’aujourd’hui (voir O. M. 194 p. 8 de juillet-août 2023).
Qui pourrait croire encore à ce conte, inspiré de Boccace et de Perrault, adapté directement d’une pièce d’Armand Silvestre et Eugène Morand présentée en 1891 à la Comédie-Française ? Un diable balourd et son épouse revêche, un marquis qui part pour la croisade, son épouse qui manque de succomber aux avances du berger qui l’aime depuis toujours, un miracle qui survient enfin pour faire triompher la morale… Avec un tel sujet incontestablement daté, Massenet compose une musique qui, avec le temps, n’a rien perdu ni de sa haute tenue ni de son charme. Dès les premières notes du prologue, l’on entre sans peine dans ce récit, situé en Provence, qui repose sur plusieurs caractères dessinés avec autant de finesse que, par moment, d’humour. On s’abandonne à un flux mélodique varié qui, tout en réservant aux divers interprètes quelques airs parfaitement ciselés, sait conserver sa souplesse, sans la moindre pesanteur, sans la moindre baisse -d’intérêt.
Au personnage central de Grisélidis, Vanina Santoni apporte un mélange très subtil de dignité et de juvénilité, tandis que Julien Dran a l’éclat et la vaillance que l’on peut attendre d’Alain, le berger. À la rouerie que Tassis Christoyannis manifeste dans sa composition du diable, Thomas Dolié répond par la noblesse qu’il confère au marquis. Aussi bien Antoinette Dennefeld qu’Adèle Charvet savent donner une présence attachante aux rôles de Fiamina et de Bertrade. On mesure également combien, dans des emplois plus effacés, Adrien Fournaison et Thibault de Damas contribuent à l’équilibre de ce plateau vocal en tous points irréprochable. Au terme d’une première écoute de ce nouvel enregistrement, l’on a envie de l’entendre à nouveau et d’en mesurer plus encore les multiples richesses.
PIERRE CADARS
Massenet, Grisélidis
Vanina Santoni (Grisélidis) – Julien Dran (Alain) – Thomas Dolié (Le Marquis) – Tassis Christoyannis (Le Diable) – Antoinette Dennefeld (Fiamina) – Adèle Charvet (Bertrade) – Adrien Fournaison (Gondebaud) – Thibault de Damas (Le Prieur)
Chœur Opéra National Montpellier Occitanie, Orchestre National Montpellier Occitanie, dir. Jean-Marie Zeitouni
2 CD Palazzetto Bru Zane BZ 1058