Opéras Giulio Cesare inégal à Amsterdam
Opéras

Giulio Cesare inégal à Amsterdam

31/01/2023
© Dutch National Opera/Monika Rittershaus

De Nationale Opera, 16 janvier

On avait quitté Calixto Bieito, à l’Opernhaus de Zurich, le 21 décembre dernier, sur un très décevant Eliogabalo de Cavalli (voir O. M. n° 189 p. 85 de février 2023). On l’a retrouvé, un mois plus tard, au DNO d’Amsterdam, pour ce Giulio Cesare, qui est probablement le pire de tous ses spectacles – du moins parmi ceux qu’on a vus de lui.

« L’opéra a tous les ingrédients nécessaires pour une production fantastique », affirme-t-il pourtant, au début d’un entretien croisé avec sa dramaturge Bettina Auer, dans le programme de salle ! Et en matière d’ingrédients, le metteur en scène espagnol accumule ici, en vrac, tous ceux qu’il utilise, avec plus ou moins de pertinence, selon les œuvres qui lui sont confiées.

C’est un peu « Sexe, Mensonges et Vidéo », en somme, avec les habituels accès de violence aspergés d’hémoglobine, dans un immuable vestiaire contemporain – Cleopatra, même, troque rapidement ses premières toilettes, reflets nostalgiques, peut-être, d’un certain âge d’or de la star hollywoodienne, pour un ensemble sweat zippé à capuche, legging et baskets, qui n’a vraiment plus rien de glamour.

Mais que Calixto Bieito cherche-t-il, au juste, à raconter sur Giulio Cesare, ou ses personnages, ou un contexte qu’ils lui auraient évoqué ? La réponse se trouve-t-elle dans le décor de Rebecca Ringst, immense cage mobile, assez finement grillagée pour servir d’écran LED, et calquée sur le pavillon de l’Arabie saoudite, à l’Exposition universelle de Dubai, comme symbole de l’absurdité d’un paradis high-tech, érigé au beau milieu du désert ?

Caractérisés par les attributs de super-riches avides de pouvoir, Romains et Égyptiens y apparaissent, en tout cas, aussi fêlés les uns que les autres : Tolomeo éructe et gesticule, entouré de boys en short de bain et robe de chambre Versace ; mi-zombie, mi-christique – stigmates compris –, Sesto erre, neurasthénique et velléitaire, tandis que sa mère Cornelia perd la tête, après qu’on lui a remis, dans un sac plastique, celle de son époux Pompeo, au point de virer vampire et cannibale, sur la personne plus ou moins consentante de son rejeton ; Nireno ne perd pas une seule occasion d’esquisser quelques pas de claquettes ; Achilla enlève sa chemise durant la première partie de son air, pour la remettre pendant le da capo… Et tout ce petit monde se gave de glaces en pot !

Au moment de leur duo, enfin, Giulio Cesare et Cleopatra s’échangent, gages d’amour et de fidélité aussi feints que prétendument réciproques, de rutilants WC dorés. Métaphore, sans doute, d’un impérialisme croyant faire régner la paix en installant de luxueux sanitaires dans le désert… Et apothéose d’un grand n’importe quoi, devenu permanent après l’entracte.

Calixto Bieito n’étant pas n’importe qui, tout peut, évidemment, se justifier selon les canons d’une nécessité dramaturgique, visant à faire résonner un « dramma per musica » de la première moitié du XVIIIe siècle avec notre monde d’aujourd’hui qui, certes, n’en finit plus de marcher sur la tête. Mais encore faudrait-il que ce théâtre fonctionne, ce qui, entre impatience et lassitude face à des excès recyclés comme autant de signes prévisibles d’une forme de paresse, n’est pas le cas.

Le plateau vocal méritait mieux, où chacun a, de surcroît, le physique, non seulement de l’emploi qui lui est assigné, mais aussi de l’idée préconçue de la figure mythique, plutôt qu’historique, qu’il incarne. Si l’Achilla de Frederik Bergman n’intéresse qu’à moitié, Jake Ingbar et Cameron Shahbazi révèlent une ampleur plus qu’enviable pour des falsettistes, sans être, ni l’un, ni l’autre, en Nireno et Tolomeo, à leur meilleur, car poussés à forcer l’expression, jusqu’à une hystérique dislocation des registres pour le second.

Au timbre profond et moiré de Teresa Iervolino, Cornelia éperdue, que son jeu maladroitement outré pourrait faire sombrer dans la caricature, si son chant n’avait autant de tenue, répond le mezzo fuselé, un rien sec même, d’une Cecilia Molinari à la ligne assez bouillonnante pour porter à incandescence le passage brutal de Sesto de l’adolescence à l’âge adulte.

Chez Julie Fuchs, le galbe de la phrase se heurte souvent à un soprano dépourvu de cette pulpe que la silhouette – idéale – de sa Cleopatra promet. Question de tessiture, sans doute. Et puis, sa tendance à être, presque toujours, très légèrement en dessous de la note, ne manque pas d’interroger, d’abord, sur le contrôle du souffle, avant d’instiller une gêne qui, loin d’être rédhibitoire, n’en est pas moins persistante.

Comment expliquer qu’après des débuts plus que probants en Giulio Cesare, sous la direction du regretté Jean-Claude Malgoire, en 2011, Christophe Dumaux soit resté cantonné, encore une décennie, à Tolomeo, où il est, il est vrai, imbattable ? À peine le pied posé sur la terre d’Égypte, le contre-ténor français s’impose, endurant, véloce, percutant, et d’une sensibilité frémissante, en amoureux autant qu’en vainqueur.

Formation d’élite, décidément, Le Concert d’Astrée mène l’assaut en portant haut les couleurs haendéliennes, sous le commandement désormais aguerri d’Emmanuelle Haïm. Douze ans après la production de Laurent Pelly, à l’Opéra National de Paris, la cheffe et claveciniste française, toujours aussi volubile dans l’accompagnement des récitatifs, a assoupli, mieux, varié les contours, sans rien perdre de la vigoureuse passion d’un geste éminemment personnel.

MEHDI MAHDAVI


© Dutch National Opera/Monika Rittershaus

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