Opéras Frustrante Katia Kabanova à Salzbourg
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Frustrante Katia Kabanova à Salzbourg

31/08/2022
© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus

Felsenreitschule, 7 août

Barrie Kosky estime que l’eau de la Volga, si présente et déterminante dans Katia Kabanova, est tout entière dans la musique, et que ce serait une erreur de chercher à la représenter. Pas une goutte visible donc, sinon au final, pour un minuscule bassin ouvert au milieu du plateau, comme par dérision, où l’on repêche le voile de la noyée… On est aux antipodes de la production de référence de Robert Carsen, donnée d’abord à Anvers et Gand, en 2004 – elle, au contraire, tout audacieusement aquatique (DVD Fra Musica, filmé à Madrid, en 2008).

Ici, le grand voile léger du rideau s’ouvre, de façon très spectaculaire, sur l’alignement de plusieurs rangées serrées de ce qu’on pense être d’abord des figurants, de dos, rigoureusement immobiles, sur toute la largeur de l’immense scène, face au grand mur des galeries du Manège des rochers (Felsenreitschule), qui ont été obturées : métaphore de la population du village, définitivement fermée à la passion de l’héroïne, condamnée à la claustrophobie… Les protagonistes s’en détacheront progressivement.

Malheureusement, Barrie Kosky n’a rigoureusement rien d’autre à proposer que des variations sur ces dos anonymes immuablement figés, quelques vrais figurants introduisant seulement une poignée de déplacements, au moment de l’orage de l’acte III. En dehors du bel échantillon de costumes d’aujourd’hui, dont on a largement loisir de détailler le réalisme, vide complet, donc : aucun accessoire, aucun élément de décor, dans des éclairages à peine variés, pour ce parti scénographique en forme de provocante gageure, qui vient à l’encontre de la toujours frémissante partition, elle sans cesse renouvelée, et qui finit par exaspérer quand il ne génère pas l’ennui.

Reste, pourtant, dans les espaces laissés libres par ces mannequins anonymes et impitoyablement statiques, une efficace direction d’acteurs – dans les limites d’une lecture fidèle du livret et du dessin conforme de ses personnages, si l’on excepte la scène vulgaire du II, où Dikoï se roule au sol dans son slip rouge…

On se repliera sur la distribution, que domine superbement, pour ses débuts in loco, la Katia de Corinne Winters, à l’aigu transparent et admirablement délié, mais aux graves plus limités. Mince silhouette juvénile assez inattendue, volant comme une flamme d’un bout à l’autre du plateau, qui permet à l’émotion de percer par moments et à laquelle la salle de la première, par ailleurs indulgente pour le metteur en scène, fait un triomphe mérité.

Très belle alliance avec le Boris richement bronzé de David Butt Philip, acteur tout aussi ardent, pour leur magnifique  duo du II, et très beau contrepoint avec la touchante et gracieuse Varvara de Jarmila Balazova, dont on reparlera certainement.

En très bonne voix, Evelyn Herlitzius s’empare du rôle de Kabanicha avec la farouche et souveraine autorité qu’on attendait d’elle. À côté du fort bien chantant Koudriach de Benjamin Hulett, Jaroslav Brezina et Jens Larsen, en Tikhon et Dikoï, sans démériter, restent plus ordinaires.

À la tête des toujours somptueux Wiener Philharmoniker, Jakub Hrusa, qui parle de l’œuvre avec intelligence et finesse dans une précieuse interview du programme de salle, déploie une constante et vibrante énergie, qui cherche à compenser l’austérité délibérée de la scène. Mais, du coup, en forçant parfois le trait, il se montre un peu moins enthousiasmant que pour la belle Rusalka qu’il avait reprise à l’Opéra Bastille, en avril 2015 – il est vrai dans le spectacle de Robert Carsen encore, autrement porteur que cette trop frustrante production.

FRANÇOIS LEHEL


© Salzburger Festspiele/Monika Rittershaus

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