Palais Garnier, 7 février
Créé au Teatro Real de Madrid, en avril 2021 (voir O. M. n° 174 p. 49 de juillet-août), ce spectacle a parfaitement réussi son transfert à l’Opéra National de Paris, l’un de ses quatre coproducteurs. La direction d’acteurs de Deborah Warner n’a rien perdu de sa force, ni de sa prodigieuse intelligence, dans des décors dont la beauté égale la pertinence.
Chaque image, chaque geste, fait mouche, dans une espèce de chorégraphie réglée au millimètre près, mais sans une once de froideur. Au contraire, l’émotion reste constamment présente, surtout dans une salle comme le Palais Garnier, dont les dimensions, à peu près équivalentes à celles du Teatro Real, permettent un contact bien plus direct entre chanteurs et spectateurs qu’à l’Opéra Bastille (où s’était jouée la dernière production de Peter Grimes à l’ONP, en 2001, puis 2004).
Presque entièrement reconduite à l’identique, par rapport à Madrid, la distribution est toujours dominée par le Peter Grimes absolument idéal d’Allan Clayton. La voix du ténor britannique, extraordinairement engagé sur le plan scénique, a gagné en puissance, sans rien perdre de sa clarté, ni de sa hauteur d’émission. On rêve de l’entendre dans d’autres répertoires, en Parsifal, par exemple.
Maria Bengtsson, en revanche, accuse le même déficit de projection dans le bas médium et le grave, privant Ellen Orford d’une part de son impact, malgré la beauté de son aigu piano et l’intensité de son jeu. Les autres solistes sont tout aussi impeccables qu’il y a deux ans, et l’on salue bien bas la performance des Chœurs de l’Opéra National de Paris, vocalement sans reproche et complètement investis dans une mise en scène très exigeante pour eux – on voit là le résultat du travail mené, pendant de longues semaines, sous la conduite de leur cheffe, Ching-Lien Wu, et de Deborah Warner.
Des quatre nouveaux venus dans la production, on détachera, aux côtés des excellentes Nièces d’Anne-Sophie Neher et Ilanah Lobel-Torres, et du solide Hobson de Stephen Richardson, le Balstrode de Simon Keenlyside. Jadis superbe baryton lyrique, le chanteur britannique a la voix aujourd’hui plus grave, ce qui sied au rôle du capitaine. L’incarnation, également fouillée, est, à l’arrivée, assez différente de celle de Christopher Purves, au Teatro Real – merci, là encore, à Deborah Warner, qui a su adapter sa direction d’acteurs à la personnalité de son nouvel interprète.
Au pupitre d’un splendide Orchestre de l’Opéra National de Paris, Alexander Soddy, remplaçant Joana Mallwitz, initialement annoncée, livre une lecture d’une précision sans faille, sans retrouver les sublimes transparences et irisations d’Ivor Bolton, à Madrid. Le son reste trop « gros » dans les passages où il devrait se faire ténu, presque au bord de l’extinction.
Un spectacle décidément marquant, dont on espère qu’il pourra être repris à l’ONP dans une future saison.
RICHARD MARTET