Opéras Fin de Ring à Bruxelles
Opéras

Fin de Ring à Bruxelles

06/02/2025
Ain Anger (Hagen), Ingela Brimberg (Brünnhilde) et Andrew Foster-Williams (Gunther). © Monika Rittershaus

La Monnaie, 4 février

Malgré un changement de metteur en scène à mi-parcours, la Monnaie aura réussi à boucler dans les délais prévus sa Tétralogie, la première depuis 1991 – même si les quatre ouvrages auront été donnés séparément, mais sans être réunis ensuite en cycles complets (voir O. M. n° 198 p. 54 de décembre-janvier 2023-2024, n° 200 p. 50 de mars 2024 et n° 207 p. 46 de novembre 2024). Voulu par et pour Alain Altinoglu, ce Ring est d’abord sa réussite personnelle. Avec un Orchestre symphonique de la Monnaie somptueusement préparé, d’une cohésion sans faille et ductile à souhait, le chef français éblouit non seulement dans les pages symphoniques les plus attendues de Götterdämmerung (le voyage de Siegfried sur le Rhin est jubilatoire, et la marche funèbre grandiose), mais aussi à chaque instant. Il n’est pas une mesure qui ne donne le sentiment d’avoir été profondément analysée et pensée, une ligne qui n’ait été soigneusement conçue et dessinée, une scène qui n’ait été préparée avec les chanteurs et où les équilibres n’ont été soigneusement pesés. Cette Tétralogie restera avant tout celle d’un chef wagnérien de premier plan.

C’est forcément d’autant plus le cas que, en délaissant les images stylisées et les concepts parfois éblouissants, mais parfois aussi hermétiques de Romeo Castellucci, et en faisant le choix de Pierre Audi pour lui succéder, la Monnaie a consacré de facto la primauté de la musique sur le théâtre. Audi, en vieux sage qui n’a plus rien à prouver, se revendique en metteur en scène non conceptuel : il ne cherche pas à éblouir ou à inventer, mais juste à raconter l’histoire telle que Wagner l’a voulue, et il semble n’avoir de plus grande fierté qu’en expliquant que la lecture des surtitres est inutile. Car tout se comprend en regardant la scène.

Cela n’empêche pas la beauté soufflante et la poésie de certaines images, dans le prolongement de ce qu’on avait déjà apprécié dans son Siegfried : les contrejours aveuglants, les costumes de Petra Reinhardt, les dominantes de rouge ou de jaune sous les lumières de Valerio Tiberi. Certes, tout n’est pas nécessairement d’une beauté à se pâmer, notamment le groupe suspendu de chevaux/dragons/dinosaures. Sans doute aussi n’échappera-t-il à personne que le minimalisme des décors de Michael Simon – des parallélépipèdes de diverses tailles et formes, posés, roulants ou suspendus – présente sans doute aussi des vertus budgétaires (le désaccord avec Castellucci était aussi financier, et il a fallu revenir dans les clous). On peut même trouver que la direction d’acteurs, soignée de bout en bout dans Siegfried, présente ici moins d’homogénéité : si des moments comme l’apparition d’Alberich ou la scène de l’immolation emportent l’adhésion, d’autres – comme la curieuse chorégraphie de Waltraute, ou l’ensemble des scènes de chœurs, plus moines que véritables vassaux, et surtout assez maladroits dans leurs mouvements – laissent le sentiment d’une certaine gaucherie.

La musique triomphe aussi par la qualité du plateau vocal. Après avoir déjà incarné la Brünnhilde des deux premières journées, Ingela Brimberg aborde pour la première fois celle du Götterdämmerung : souffrante le soir de la première, même si aucune annonce ne fut faite (quelques difficultés dans la première scène et un médium moins présent en attestent), la soprano suédoise retrouve vaillance et flamboyance pour éblouir et s’imposer au deuxième, et surtout au troisième acte. À ses côtés, Bryan Register chante lui aussi pour la première fois le Siegfried de cet ultime épisode. La voix trahit quelques limites dans l’aigu et n’est sans doute pas la plus brillante qu’on ait entendue, mais l’essentiel du registre est ferme et bien projeté, et le ténor américain séduit par sa générosité et son naturel. 

Le triomphateur de la soirée est probablement l’extraordinaire Ain Anger, un Hagen qui impressionne tout à la fois par sa haute stature sa présence scénique et sa puissance vocale, et on retiendra également la première Gutrune d’Annette Fritsch lumineuse, claire et sonore. Les habitués de la Monnaie comme Scott Hendricks (Alberich), Nora Gubisch (Waltraute) ou Andrew Foster-Williams (Gunther) sont également fidèles au rendez-vous.

NICOLAS BLANMONT

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras Carmen à Versailles

Carmen à Versailles

Opéras Orphée aux Enfers à Toulouse

Orphée aux Enfers à Toulouse

Opéras Werther à Strasbourg

Werther à Strasbourg