Opéras Fidelio à Bordeaux
Opéras

Fidelio à Bordeaux

02/06/2025
Matthew Rose, Szymon Mechliński, Kévin Amiel (en haut), Jacquelyn Wagner et Polina Shabunina (en bas). © Eric Bouloumié

Grand-Théâtre, 19 mai

Pour cette nouvelle production de Fidelio, Valentina Carrasco a pensé donner une résonance plus contemporaine en situant l’action pendant l’Occupation, et à Bordeaux, lieu stratégique durant cette période, pour l’occupant comme pour la Résistance. Tout se déroule dans l’hôtel Terminus, en un espace scénique partagé entre un niveau supérieur, pour la réception et les bureaux de la Gestapo, et un sous-sol occupé au centre par une prison attenante au lieu d’interrogatoire.

Ce dispositif très compact renforce l’impression d’enfermement et d’oppression, qui soudain s’allège, au second acte, quand tout le plateau est investi par les prisonniers retrouvant l’air libre et la lumière du jour, magnifique scène où aux valeureux choristes se mêlent de vrais détenus issus du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de la Gironde. Rien ne semble manquer à cette reconstitution minutieuse, avec uniformes, brassards, drapeau nazis et portrait du Führer, maints détails confinant au « bon manuel de l’Occupation » : saynètes de délation, arrestation musclée et séances de torture, et un Rocco collabo faisant aussi du marché noir et du trafic d’œuvres d’arts et d’instruments de musique.

Le souci de réalisme de la metteuse en scène argentine va jusqu’à projeter en fond des images d’archives, vues de Bordeaux de l’époque, photos d’événements historiques ou de personnes réelles, établissant des correspondances entre Pizarro et Klaus Barbie ou Maurice Papon, et, pour Leonore et Florestan, avec certaines figures de la Résistance, en particulier les époux Aubrac, Lucie et Raymond.

Dommage que la fin accumule les clichés, Fernando devenant carrément le général de Gaulle conduisant résistants et soldats, dans une scène de libération dont les mille détails (Rocco en résistant de la dernière heure, Marzelline tondue, Pizarro qui réussit à négocier son transfert) font hélas se perdre dans l’anecdotique la portée universelle de l’œuvre. L’ouverture Leonore III, jouée en postlude devant tout le monde assis sur scène, tandis qu’est projetée la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, permet de reprendre un peu de hauteur.

À cette lecture un peu surlignée répond la direction sûre et efficace, quoique pas toujours très raffinée, de Joseph Swensen. L’ouverture paraît tonitruante, et les passages plus lyriques, comme le quatuor « Mir ist so wunderbar » ou le chœur des prisonniers, sont trop statiques et sans doute pas assez transparents. Les moments les plus dramatiques – les airs de Pizzaro et de Florestan, le duo des retrouvailles – ou grandioses (le Finale) sont plus réussis, même si se confirme une tendance à confondre énergie et brutalité.

La distribution est dominée par le couple central. Jacquelyn Wagner aborde le rôle-titre de son grand lyrique flamboyant, compensant intelligemment par l’énergie et l’incisivité de son allemand (le meilleur du plateau) ce que la nature lui a refusé en métal et en largeur. Dans son si redoutable air, elle sait, après un récitatif fiévreux, tendre l’arc du « Komm Hoffnung », et le raptus auquel elle parvient dans la fin, si tendue et implacable pour les registres, est d’une grande artiste. Le Florestan de Jamez McCorkle impressionne dès le premier son par une messa di voce longue et complète sur « Gott ! ». La suite de l’air passionne moins, faute d’un allemand assez éloquent, mais la robustesse de l’instrument est assez remarquable.

Polina Shabunina est une solide Marzelline, mais l’émission manque un peu de légèreté, quand Kévin Amiel joue avec talent le nazillon en Jaquino, ténor efficace, à l’allemand très curieusement meilleur parlé que chanté. Matthew Rose prête à Rocco sa bonne voix de basse, n’étaient quelques aigus un peu blancs, alors que le Pizarro sonore de Szymon Mechliński a tendance, dans son air, à écraser le son, peu aidé il est vrai par une direction très compacte. Enfin, le Fernando de Thomas Dear déçoit par son manque de netteté et de mordant dans l’émission, et de noblesse dans l’expression.

THIERRY GUYENNE

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras Attila à Venise

Attila à Venise

Opéras Manon à Paris

Manon à Paris

Opéras Faust à Lille avant Paris

Faust à Lille avant Paris