Opéras Fête vocale et orchestrale à Milan
Opéras

Fête vocale et orchestrale à Milan

19/05/2023
© Teatro Alla Scala/Brescia e Amisano

Teatro alla Scala, 29 avril

Souvent réduit à une démonstration de chant, Lucia di Lammermoor n’en est pas moins un opéra d’atmosphères, une progression de tableaux où l’orchestre, loin de se limiter à l’accompagnement des voix, doit souligner les contours et les couleurs du drame. Encore faut-il un chef capable de transfigurer le pouvoir narratif de la partition, et pas seulement dans les brefs préludes marquant les changements de scène.

C’est en cela que la direction de Riccardo Chailly, dans cette nouvelle production de la Scala de Milan, relève de l’exploit, point d’orgue d’une approche analytique visant à respecter le chef-d’œuvre de Donizetti, non seulement dans sa physionomie – réintegrant toutes les coupures de tradition et autres passages oubliés, selon la récente édition critique de Gabriele Dotto et Roger Parker (Ricordi, 2021) –, mais surtout dans sa valeur musicale. La cohérence de l’inspiration et la subtilité de l’écriture s’en trouvent tellement magnifiées, que l’on croirait assister à la restauration d’une toile jaunie par le temps.

Le résultat est d’autant plus miraculeux que l’ampleur des phrasés, l’intensité des dynamiques, l’éclat des couleurs ne déforment jamais le caractère idiomatique : l’orchestre dialogue avec le plateau dans sa plus pure langue natale. Seul inconvenient, un poids sonore constamment élevé, compromettant parfois l’équilibre avec les voix. Mais la tension monte sans répit de la fosse, et le drame, même dans cette version ultra-intégrale, avance comme une coulée de lave, donnant le sentiment d’une rare unité.

Si le charme musical opère à un tel degré, c’est aussi parce que la réalisation visuelle n’a pas grand-chose à offrir pour distraire l’écoute. Neutre, littérale, cantonnée à l’illustration pure et simple, la mise en scène repose entièrement sur les décors, sobres et stylisés, que Yannis Kokkos signe lui-même, tout comme les costumes, à l’élégance contemporaine : un ensemble qui, placé sous les éclairages lunaires de Vinicio Cheli, parvient à installer une atmosphère nocturne et romantique, sans pour autant faire oublier l’absence de dramaturgie et le statisme de la direction d’acteurs. Les interprètes sont souvent livrés à eux-mêmes et, en dehors de quelques fulgurances dramatiques, comme le duo Lucia/Enrico ou la scène de folie, la vitalité théâtrale manque cruellement à l’appel.

C’est le seul défaut d’une production qui, initialement prévue en décembre 2020, pour l’ouverture de la saison, peut compter sur une distribution de luxe. Outre l’impeccable Michele Pertusi, présence imposante et ligne souveraine en Raimondo, que la version intégrale élève au rang d’un premier rôle, Boris Pinkhasovich convainc en Enrico par sa voix claire et puissante, sa facilité dans l’aigu et sa riche palette expressive.

Si Juan Diego Florez ne trouve pas en Edgardo son rôle idéal, entre autres parce qu’il n’a pas la puissance nécessaire pour passer la rampe dans les ensembles, il se confirme un styliste hors pair, ciselant admirablement ses phrases, y compris dans les récitatifs, traités avec une sincérité bouleversante. Sa splendeur vocale est presque inaltérée, avec une souplesse d’émission et une variété de couleurs qui s’épanouissent jusqu’à la fin, dans un déchirant « Fra poco a me ricovero ».

Mais c’est, surtout, Lisette Oropesa qui fait sensation, déchaînant l’enthousiasme du public à chacune de ses interventions, jusqu’à une véritable ovation après sa grande scène de folie,  interprétée avec une aisance stupéfiante. Moins tragédienne que virtuose, rompue à toutes les subtilités du bel canto – legato souverain, aigus cristallins, trilles électrisants –, la soprano américaine s’inscrit dans la lignée de ces Lucia pour qui rien ne dépasse la beauté, la rondeur, la fluidité des sons. Quitte, sans doute, à trop lisser la diction et à rendre l’incarnation un rien empruntée. Ce qui ne saurait gâcher une soirée, en plusieurs points, mémorable.

PAOLO PIRO


© Teatro Alla Scala/Brescia e Amisano

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