Opéras Faust à Lille avant Paris
Opéras

Faust à Lille avant Paris

30/05/2025
© Simon Gosselin

Opéra, 17 mai

Fin de saison triomphale à l’Opéra de Lille avec ce superbe Faust : Caroline Sonrier conclut en beauté ses vingt-deux ans à la tête de la maison, en proposant non la version « grand opéra » bien connue de 1869, mais celle avec dialogues parlés – et plusieurs mélodrames – de la création au Théâtre-Lyrique en 1859. Une version « opéra-comique » que le Palazzetto Bru Zane – partenaire de la production – nous avait révélée en 2018 par un concert et un enregistrement, mais qui est pour la première fois portée à la scène.

Si l’on perd des pages célèbres, comme la Ronde du veau d’or de Méphisto (remplacée ici par la Chanson du nombre treize, qui annonce à l’acte IV le chœur des sorcières, « Un, deux, et trois, comptons jusqu’à treize »), l’air de Valentin « Avant de quitter ces lieux » ou le chœur « Gloire immortelle de nos aïeux », on fait aussi maintes découvertes passionnantes, notamment un trio entre Faust, Wagner et Siebel dans le prologue, une cabalette de Faust, un duo entre Marguerite et Valentin, et de ce dernier des couplets avec chœur à son retour de la guerre. De plus, les rôles de Wagner, Siebel et Dame Marthe se trouvent étoffés par les dialogues, et les proportions de l’ouvrage sont largement modifiées.

La réussite du spectacle tient à la parfaite entente entre direction musicale et mise en scène. En transposant l’action au XIXe siècle, dans les somptueux costumes de Christian Lacroix, Denis Podalydès rend évidemment hommage à la fameuse production de Lavelli au Palais Garnier, qui avait fait date en 1975, tout en adoptant ici une dramaturgie bien plus moderne, et une scénographie minimaliste (signée Éric Ruf), un plateau tournant et des accessoires descendant des cintres ou apportés par des machinistes permettant des changements à vue incessants. On admire la virtuosité avec laquelle, en un clin d’œil, un plateau nu peut se transformer en kermesse, et un extérieur de maison devenir la chambre de Marguerite ou l’intérieur d’une église. Aux côtés de Méphisto, deux serviteurs, accessoiristes diligents, se montrent prompts à faire se faner le bouquet de Siebel, ou à tendre à Marguerite le miroir de toutes les tentations.

Même sans grand ballet, la danse est présente pour la valse de la kermesse et la Nuit de Walpurgis, à travers les chorégraphies de Cécile Bon, confiées à deux danseuses. Enfin, le grandiose de certains tableaux collectifs (scène de l’église, finale de l’opéra) permet d’exalter l’excellence du chœur de la maison. À la tête d’un Orchestre National de Lille superbe, Louis Langrée, d’un geste puissant qui n’exclut ni la délicatesse de touche ni la souplesse des enchaînements, offre une grande variété d’ambiances.

Le plateau, jeune et uniquement francophone, frappe par son homogénéité et le travail de fond effectué pour que le texte parlé soit porté avec la même précision et vigueur que le chant, et que l’on glisse de l’un à l’autre sans heurt. Le baryton mordant d’Anas Séguin est un luxe en Wagner, tout comme la Dame Marthe truculente mais sans vulgarité aucune de Marie Lenormand. Mezzo plus clair et nerveux, Juliette Mey incarne un Siebel aussi bien chantant qu’attachant. À côté du Valentin vigoureux et nuancé de Lionel Lhote, Jérôme Boutillier compose, de son baryton percutant et étendu, un Méphistophélès inhabituellement clair mais haut en couleurs, cabotin à souhait et toujours châtié de ligne.

Vannina Santoni, remise de l’allergie qui l’a contrainte à annuler quelques soirs, chante sa première Marguerite de son franc soprano lyrique, aux aigus lumineux et graves fruités, sans chercher à forcer ses moyens. Surtout, elle apporte à ce rôle souvent confié à des voix plus amples un frémissement juvénile et une émotion à fleur de mots qui confèrent une grande fraîcheur à un air aussi rebattu que celui des bijoux, et à « Anges purs, anges radieux » un élan irrésistible. Elle forme de plus avec le magnifique Faust de Julien Dran le plus crédible des couples. 

Quoique annoncé souffrant, le ténor délivre une éblouissante leçon de chant et de théâtre. L’instrument clair, haut placé, au médium charnu et à l’aigu facile, offre une palette de couleurs et de nuances qui semble infinie : quelle tendresse dans « Salut ! Demeure chaste et pure », couronné d’un contre-ut radieux, attaqué forte puis ramené au pianissimo en voix mixte ! Et quelle ardeur dans la très dramatique cabalette qui suit – tout à fait inédite car coupée dès avant la création – terminée sur un fulgurant suraigu fortissimo longuement tenu !

Ce spectacle enthousiasmant sera repris dans la même distribution à l’Opéra-Comique fin juin : ne le manquez pas !

THIERRY GUYENNE

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