Opéra, 6 avril
Les péripéties qui émaillent la vie lyrique ont, parfois, du bon. Témoin la manière dont Nicola Alaimo, tout occupé à répéter Il barbiere di Siviglia, à Monte-Carlo, a permis de sauver, in extremis, la représentation de Falstaff donnée, le 6 avril, à Nice, la ville voisine, en venant remplacer Roberto De Candia aux prises avec une trachéite.
Dans ce genre de cas, l’interprète prévu se contente de jouer le rôle en le mimant, cependant que celui appelé à la rescousse chante, côté jardin, debout devant un pupitre. Mais Nicola Alaimo est un familier de Falstaff, et c’est par cœur qu’il le chante, sortant de la coulisse, avec un mélange de prestance et de modestie, au moment d’intervenir ou s’y dissimulant par délicatesse, sans pouvoir s’empêcher d’esquisser quelques gestes.
Bref, Nicola Alaimo ne se contente pas de faire les notes. Il incarne, presque malgré lui, le personnage, le tout avec une humanité, une finesse, un art des nuances et des aigus en voix de tête, qui font de son Falstaff un héros bien plus raffiné que de coutume. Nul doute que sa présence permet à la soirée de ne pas être « simplement » une bonne représentation.
Sur le plateau, mais on ne peut évidemment pas lui en vouloir, Roberto De Candia, avec sa barbe et sa bedaine, n’incarne pas du tout le même personnage, d’autant que le metteur en scène Daniel Benoin en fait un biker sur le retour et situe l’auberge de la Jarretière dans une espèce de squat délabré, avec tags (signés par le graffeur Otom), sacs-poubelle et panier de basket-ball. Ainsi, ce qu’on entend a une tout autre allure que ce qu’on voit !
Falstaff et ses amis sont habillés de cuir usé, et c’est par l’entremise d’une vidéo que l’on change de décor, pour se rendre chez les Ford : la caméra prend de la hauteur, traverse une banlieue lugubre, dépasse une autoroute, arrive dans une forêt (où un cerf attend, comme il y en aura un, à la fin de l’opéra), puis se pose devant une villa on ne peut plus chic.
Hormis cette trouvaille, la mise en scène de Daniel Benoin est sans surprise : les commères complotent dans leur coin pour piéger le hâbleur, Ford subit la situation sans la comprendre, et la toute fin se déroule chez Falstaff, à la manière d’un bal masqué plus ou moins gothique, où des pots de fleurs de grande dimension remplacent la forêt magique.
Mais le spectacle a son rythme et son unité, et les personnages vivent, d’autant que plusieurs chanteurs se distinguent. Alexandra Marcellier, à la voix souple et à la bonne humeur communicative, est une convaincante Alice Ford. Marina Ogii offre, avec son beau timbre de mezzo et ses interventions pleines d’énergie, un relief inattendu à la discrète Meg Page.
Kamelia Kader a tendance à parodier le rôle déjà caricatural de Mrs. Quickly, ce qui confère à ses « Reverenza ! » une dimension burlesque, mais Rocio Pérez incarne une Nannetta idéale de lumière et de délicatesse. En Fenton, Davide Giusti lui donne la réplique avec justesse, mais se croit tout à coup chez Puccini, au III, avec un « Dal labbro il canto » chanté à pleine voix, alors qu’il s’agit d’évoquer les prestiges de la nuit et les promesses de l’amour.
Mais nous ne bouderons pas notre plaisir, et nous ne reprocherons pas, non plus, au très viril et très sonore Massimo Cavalletti de ne pas nous offrir un Ford ordinaire et d’aborder le rôle à la manière du Comte Almaviva, prêt à tomber dans tous les pièges de la jalousie. Thomas Morris et Vincent Ordonneau sont excellents, en Cajus et Bardolfo, et on accordera une mention particulière à Patrick Bolleire, qui donne de l’élégance et de l’autorité à Pistola.
Daniele Callegari dirige, avec un mélange d’entrain et d’humilité, un orchestre que Verdi a voulu coloré, mais sans le charger. Le chef réussit ce dosage ; il fait ronfler les contrebasses et pépier les bois quand il le faut, sans que jamais soit rompu l’équilibre avec le plateau, sans que jamais, non plus, la soirée comprenne un temps mort.
Il est des Falstaff, où une greffe opérée d’urgence prend immédiatement et sans douleur.
CHRISTIAN WASSELIN