La Monnaie, 21 septembre
Richard Martet avait salué dans ces colonnes la fluidité, la drôlerie et la lisibilité de cette production signée Laurent Pelly, créée au Teatro Real de Madrid en octobre 2019 (voir O. M. n° 151 p. 50 de juin). Elle aurait dû arriver à la Monnaie un an plus tard si la pandémie n’en avait décidé autrement. Le public bruxellois aura pu finalement la découvrir en ouverture de la première saison de Christina Scheppelmann comme directrice générale, étant clairement annoncé que les spectacles programmés jusque fin 2025 sont encore les choix de son prédécesseur Peter de Caluwe : le mandat de l’Allemande commencera véritablement en janvier 2026 avec Benvenuto Cellini.
Alain Altinoglu, reconduit par Scheppelmann pour un nouveau mandat de directeur musical, assurera la continuité entre les deux règnes. Précise, incisive, efficace, sa direction se révèle ici aussi virtuose que la mise en scène. Mais à l’évidence des accents de la comédie, le chef ajoute un souci de la forme et de la beauté sonore : son Falstaff est, autant que ses récents épisodes du Ring wagnérien, l’expression de la fusion parfaite entre un sens dramatique constant et un véritable hédonisme musical. Lequel renvoie d’ailleurs ici à l’esthétique assumée de la vision de Pelly, dont certains tableaux sont un plaisir pour les yeux.
Sans être exceptionnel, le plateau vocal s’avère de belle tenue. On y retrouve nombre de fidèles de la Monnaie, à commencer par Sir Simon Keenlyside, qu’on n’avait plus entendu à Bruxelles depuis plus de vingt ans (il incarna notamment Orfeo et Don Giovanni lors de l’ère Foccroulle) mais qui revient pour tenter son premier Falstaff. Séduisant par son lyrisme plus que par une vis comica un peu parcimonieuse, le baryton anglais livre une incarnation plus attendrissante que véritablement convaincante, avec un registre central bien projeté et très clair mais un grave insuffisant. Lionel Lhote campe un Ford impeccable de netteté et de puissance, qu’il partage avec la Quickly somptueuse de Daniela Barcellona.
Sally Matthews, qui a déjà chanté à Bruxelles des emplois aussi différents que la Governess de The Turn of the Screw, la Maréchale, Daphné, la Comtesse de Capriccio, Jenůfa, Norma, Tatiana et Anne Trulove, propose cette fois une Alice Ford affirmée et puissante, mais çà et là imprécise. On est séduit par un couple d’amoureux empreint de fraîcheur (Benedetta Torre en Nannetta et Bogdan Volkov en Fenton) et par le Bardolfo plein de verve de Mikeldi Atxalandabaso, on salue les très corrects Pistola de Patrick Bolleire et Meg Page de Marvic Monreal, et on regrette que John Graham-Hall, mémorable Aschenbach – il y près de deux décennies il est vrai – en soit réduit à un Cajus terne et parfois dissonant.
NICOLAS BLANMONT