Opéra, 16 décembre
Étrange Candide que celui proposé par l’Opéra de Lyon, privé de sa narration et de son action. Ici, les numéros musicaux s’enchaînent, sans didascalies pour nous guider dans l’intrigue, et il y a de quoi être perdu : non seulement l’histoire devient parfaitement incompréhensible, mais la verve comique et la réflexion philosophique ont très largement disparu.
On s’interroge réellement sur ce choix du metteur en scène américain Daniel Fish. Candide n’aurait-il plus rien à nous dire ? Notre époque serait-elle allée si loin dans le chaos qu’on ne puisse plus s’amuser de la marche du monde et de ses travers, comme Voltaire le pouvait encore en son temps ? Vision pessimiste s’il en est, et qui nous prive de l’essence de l’œuvre : presque pas un rire dans la salle !
À cela s’ajoute un plateau quasiment vide, avec l’arrière-scène pour seul décor et, comme accessoires, des chaises, quelques spots et un immense globe transparent. L’enrichissement du dispositif repose pour l’essentiel sur les danseurs, aux chorégraphies répétitives, faites de déambulations sans but et de gestes codifiés.
Les changements de lieux ne sont pas davantage signifiés par la mise en scène : à moins de connaître parfaitement le livret, impossible de s’y retrouver et de repérer clairement les différents personnages. Du coup, le propos paraît singulièrement morne, d’autant qu’il ne se double pas d’une proposition dramaturgique ou d’une direction d’acteurs suffisamment fortes pour frapper le spectateur.
Les rôles sont, heureusement, fort bien tenus. Le ténor américain Paul Appleby a toute l’élégance et le rayonnement des grands interprètes de Candide. Quant à la soprano canadienne Sharleen Joynt, elle offre une Cunegonde au suraigu solide et acéré, d’une belle énergie scénique – il lui manque seulement davantage de projection dans le médium.
Le Pangloss de Derek Welton est très beau vocalement ; malheureusement, par la faute de la production, il disparaît de l’histoire, au lieu d’en être un rouage central. On soulignera, également, les prestations de Sean Michael Plumb en Maximilian et de Peter Hoare dans son triple rôle, qui, lui, tire son épingle du jeu scéniquement.
La Vieille Dame de la mezzo américaine Tichina Vaughn est formidable, sa prestance comblant les lacunes narratives de la mise en scène. Et les Chœurs de l’Opéra de Lyon se montrent convaincants, même si la direction d’acteurs leur laisse peu d’occasions de briller.
Au pupitre, Wayne Marshall propose une lecture davantage tournée vers le « musical » que vers l’opérette classique. L’ensemble est efficace, dynamique, homogène, mais le chef britannique laisse peu de place aux couleurs volontiers grinçantes, pathétiques ou débridées de la partition, sauf dans les airs de la Vieille Dame, l’orchestre assumant alors tout l’humour et la folie du personnage.
À l’Opéra de Lyon, Candide est, décidément, davantage à la fête en fosse que sur le plateau.
CLAIRE-MARIE CAUSSIN