Opera Vlaanderen, 20 décembre
Démodé, Ernani ? Dépassé ? Injouable ? C’est ce que semble penser la metteuse en scène tchèque Barbora Horakova Joly, qui présente à l’Opera Vlaanderen une version de l’œuvre fractionnée, élaguée, et entrecoupée par la lecture de textes signés Peter Verhelst, écrits pour l’occasion. Ce qui était chez Francesco Maria Piave, le librettiste, un désir de vengeance du héros devient ici un trauma ; le bandit exilé est un soldat, un homme « brisé mentalement qui essaie d’analyser sa vie », nous dit la note d’intention.
Après tout, pourquoi pas une relecture psychanalytique du personnage d’Ernani ? Mais était-il nécessaire de couper les récitatifs ? De supprimer les rôles secondaires (Giovanna et les deux écuyers, Don Riccardo et Jago) ? De morceler la partition ? Tout cela sous le prétexte – plus que discutable – d’un livret mal ficelé, peu convaincant sur le plan psychologique. Loin d’éclairer l’œuvre ou de la nourrir, ce parti pris obscurcit la compréhension de l’intrigue, les textes de Peter Verhelst, indépendamment de leur qualité, ne cessant d’interrompre les élans dramatiques de la musique.
À ne pas croire en Ernani, tel que Verdi et Piave l’ont conçu, en 1844, Barbora Horakova Joly en trahit l’esprit. C’est d’autant plus dommage qu’on retient de belles propositions visuelles : la première scène, très réussie, avec des vidéos illustrant intelligemment et esthétiquement le propos ; l’entrée d’Elvira, habillée de cordes auxquelles les hommes peuvent venir, métaphoriquement, se pendre. La direction d’acteurs a, elle aussi, ses qualités, bien que la metteuse en scène peine à intégrer à l’histoire le grotesque auquel elle tient, et que le tableau final soit un peu privé d’émotion.
Les chanteurs sont très engagés scéniquement. Vincenzo Costanzo campe un Ernani investi, profond, et si la voix gagnerait à développer davantage de rondeur, le ténor italien fait preuve d’une belle solidité dans l’aigu. La soprano canadienne Leah Gordon affronte assez remarquablement les difficultés du rôle d’Elvira, notamment dans les ensembles, où la voix, comme portée par le drame, se fait plus intense. Il lui reste, sans doute, à homogénéiser encore les registres, mais, sur l’ensemble, sa prestation est tout à fait convaincante.
Le baryton italien Ernesto Petti, souffrant, ne pouvant que mimer Don Carlo sur scène, est doublé par son compatriote Giuseppe Altomare, qui dispose d’une musicalité et d’un sens du phrasé admirables. La basse allemande Andreas Bauer Kanabas, enfin, impose un Silva sonore, tout de souplesse et de beau chant.
Le chœur maison trouve une réelle homogénéité, même si la clarté de la diction fait parfois défaut. L’orchestre, quant à lui, manque un peu de lyrisme. Il est vrai que la direction de la cheffe britannique Julia Jones n’offre pas une grande variété, malgré des pupitres de cuivres bien utilisés.
Ceci posé, comment reprocher aux instrumentistes de manquer de continuité, dans une partition largement amputée et interrompue par les interventions de l’acteur belge Johan Leysen, bon récitant, sans aucun doute, mais ici hors-sujet ?
CLAIRE-MARIE CAUSSIN