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Éditorial

En avant, la troupe ! (éditorial du numéro de septembre)

24/08/2022

Annoncé par Alexander Neef dans la foulée de sa nomination, le projet de constitution d’une troupe à l’Opéra National de Paris a franchi un nouveau cap, le 7 juillet, avec l’ouverture des inscriptions en ligne pour les premières auditions, la date limite étant fixée au 19 septembre. Je m’en réjouis. Le communiqué de presse de l’ONP a, en plus, le mérite de définir clairement ce que sera cette « troupe », terme qui, dans la tête des mélomanes, recouvre de nombreux fantasmes.

Premier constat : avec une quinzaine de chanteurs, engagés pour une saison – engagement ayant vocation à être renouvelé pour une -deuxième, puis une troisième saison –, elle n’aura rien à voir avec les troupes gigantesques qui, jusqu’en 1972, assuraient le fonctionnement régulier de l’institution, leurs membres tenant souvent, le même soir, tous les rôles d’un même opéra. Les « artistes invités » étaient, à l’époque, l’exception ; ils resteront la règle.

En ce sens, la future troupe peut évoquer l’« Ensemble » du Bayerische Staatsoper de Munich, avec ses seize chanteurs. Sauf que ces derniers ne sont pas engagés pour trois ans maximum : le ténor Ulrich Ress en fait partie depuis la saison 1985-1986 ! Tout simplement parce que la mission de formation et d’intégration dans la carrière y est moins importante que dans le projet de l’ONP.

Alexander Neef ne s’en cache pas : « La création d’une troupe représente une magnifique opportunité pour des artistes lyriques qui ont besoin d’être soutenus et accompagnés en début de carrière. C’est une garantie de stabilité, de développement artistique et de notoriété pour des chanteuses et des chanteurs qui ont besoin d’apprivoiser la scène. »

Avec une quarantaine de représentations par saison, « d’abord dans des seconds rôles, puis vers des rôles plus importants », la structure est à même d’offrir de belles opportunités à ses membres, sans parler d’un salaire garanti par un CDD – une aubaine à une époque où de nombreux chanteurs, y compris prestigieux, peinent à trouver des engagements et restent sans travailler pendant plusieurs mois. Quant au risque de basculer dans la routine, l’un des principaux reproches adressés au système de troupe, il est d’emblée évité par la taille modeste de l’effectif et la durée limitée de l’engagement.

Il reste cependant plusieurs questions. L’âge, d’abord. Pour se présenter aux auditions, il faudra avoir 18 ans au moins, le 1er août 2023. Alexander Neef évoquant des artistes ayant besoin « d’être soutenus et accompagnés en début de carrière », quelle sera la place réservée aux candidats de 40 ans et plus, avec déjà un parcours professionnel derrière eux ?

La nationalité, ensuite. Beaucoup de ceux qui appellent de leurs vœux la reconstitution des troupes en France espèrent qu’elles accueilleront, en priorité, des artistes français, comme c’était le cas, il y a un siècle. Au Bayerische Staatsoper, comme au Staatsoper de Vienne, les « Ensemble » sont aujourd’hui internationaux. On regardera avec intérêt la liste de noms qui sortira des auditions organisées par l’ONP.

Quelle sera, enfin, l’articulation entre la troupe et l’Académie de l’Opéra National de Paris, dont les stagiaires tiennent déjà régulièrement des rôles secondaires dans les nouvelles productions et reprises ? La coexistence des deux peut évoquer une maison comme le Semperoper de Dresde, avec son « Ensemble » et son « Junges Ensemble ». Sauf que la vocation du premier, dont certains membres sont là depuis de longues années, n’est pas d’accompagner des artistes ayant besoin d’« apprivoiser la scène » : le second, investi d’une mission de perfectionnement, est là pour ça.

Alexander Neef a donc opté pour une solution « mixte ». Il a décidé, et c’est tant mieux, d’aller vite. L’activité de la troupe commencera dès la saison 2023-2024. On espère que ses premiers membres n’attendront pas trop longtemps pour accéder aux rôles d’importance. L’ONP est une telle vitrine internationale qu’un Borsa de Rigoletto, réussissant son passage au Duc de Mantoue, a toutes les chances de voir rapidement s’ouvrir les portes d’une grande carrière. Sans parler d’un Messager d’Aida devenant Radamès, comme Georges Thill entre 1924, année de son entrée à l’Opéra, et 1925 !

Impossible, pour moi, de terminer cet éditorial sans dire adieu à mon ami Kader Hassissi, cofondateur et directeur du Festival International d’Opéra Baroque & Romantique de Beaune, disparu le 15 août. Avec son épouse, Anne Blanchard, directrice artistique de la manifestation, il fut, pendant quarante ans, l’un des principaux artisans de la redécouverte de l’opéra dit « baroque » en France, tout en lançant la carrière d’innombrables chefs, chanteurs et ensembles.

RICHARD MARTET

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