Opéra, 20 janvier
Cyril Teste peut remercier Céline Gaudier. Car en reprenant, à la façon d’un spectacle de répertoire – au sens noble du terme, à l’opposé, donc, de la routine, voire de la ringardise qui peuvent lui être associées –, le Fidelio monté à l’Opéra-Comique, en septembre 2021 (voir O. M. n° 177 p. 57 de novembre), par le metteur en scène français, son assistante lui confère, sans en trahir la dramaturgie, l’intensité, mieux, la vérité qui lui manquaient alors. Ainsi, le dispositif vidéo qui avait tendance, béquille conceptuelle parfois presque décorative, à apparaître comme une fin en soi, se fond bien plus efficacement dans une cohérence d’ensemble.
L’alchimie du couple improbable formé par Gregory Kunde et Angélique Boudeville, inexplicable autrement que par la magie du théâtre, n’est pas non plus pour rien dans le surgissement d’une émotion nouvelle. Mieux qu’un glorieux automne, c’est un stupéfiant été indien que connaît le ténor américain, véritable phénix auquel nul n’aurait pu prédire pareille longévité, a fortiori dans les rôles abordés au cours de la dernière décennie… Et surtout, jusqu’où ira-t-il, alors qu’à près de 69 ans, il part, avec Florestan, avant Bacchus dans Ariadne auf Naxos, à la conquête de gros morceaux du répertoire pour Heldentenor ?
Souvent, le « Gott » initial – que l’obscurité du plateau dérobe ici au regard – est enflé, du pianississimo jusqu’à l’explosion. D’un timbre voilé, qui vient des entrailles de la terre autant que du tréfonds de l’âme, Gregory Kunde en fait, leçon aussi immense que bouleversante, la plus exemplaire des messe di voce. Avant d’affronter les chausse-trappes de l’écriture beethovénienne avec ce sidérant éclat de la maturité qui, pas un instant, n’épaissit le phrasé, mais d’abord porte haut la sincérité de l’incarnation.
La carrière d’Angélique Boudeville n’en est, quant à elle, qu’à ses balbutiements – même si, déjà, ses moyens l’autorisent à se mesurer, sans présomption, à des vocalités censément périlleuses. Leonore incite, bien naturellement, la soprano française à la prudence, dont la présence d’emblée attachante n’empêche pas que les contours d’« Abscheulicher » manquent de tranchant, et ceux de « Komm, Hoffnung », d’assise dans le cantabile. Mais l’assurance lui vient une fois dans le cachot, où s’ouvre la voie vers un aigu pulpeux, en absolue symbiose avec la plénitude de son partenaire dans leur duo libérateur, dont les lumineuses montées laissent pantois.
Plus que de Jeanne Gérard, qui n’a à peu près rien pour Marzelline – ni lumière, ni embryon d’agilité, ni même charme –, il faudra surveiller de près l’évolution de Valentin Thill, Jaquino à l’étoffe assez sombre et bien ancrée, que des personnages nettement plus exposés, comme Pylade (Iphigénie en Tauride) et le Chevalier de la Force (Dialogues des Carmélites), attendent déjà dans les prochains mois.
Seul rescapé de la distribution de l’Opéra-Comique, Albert Dohmen est – et demeure – un Rocco solide comme le roc, et si profondément humain à la fois. Mais tandis que, d’un métal forgé et endurci à Wagner, Thomas Gazheli cingle et claque, réduisant Don Pizarro à ses coups de boutoir, au risque de la caricature, le Don Fernando plus clair qu’à l’ordinaire de Birger Radde nimbe le finale d’une onctueuse dignité.
Après l’ensemble Pygmalion et Raphaël Pichon qui, à la Salle Favart, sortaient la partition d’une zone de confort sonore encore majoritaire, pour les œuvres composées après 1800, dans la pratique comme dans les goûts, l’Orchestre Philharmonique de Nice déploie une rondeur sans doute rassurante, sur laquelle Marko Letonja bâtit sa direction charpentée et sans pesanteur, qui toujours avance droit, auréolée d’espérance.
MEHDI MAHDAVI
PHOTO © DOMINIQUE JAUSSEIN