Interview Emiliano Gonzalez Toro & Mathilde Etienne
Interview

Emiliano Gonzalez Toro & Mathilde Etienne

27/02/2025
© Michal Novak

Depuis leur rencontre il y a douze ans, le duo fusionnel et passionné à l’origine de l’ensemble I Gemelli et du label Gemelli Factory s’attache à réhabiliter la musique du XVIIe siècle. Animés par une curiosité insatiable et une profonde admiration pour les compositeurs de l’époque, ils œuvrent pour redonner à ce répertoire, parfois dénaturé par des relectures éloignées des intentions originales, toute sa richesse et sa complexité. Leur approche, audacieuse et moderne, propose au public une interprétation historiquement informée, entre fidélité et regard neuf. 

Comment est né l’ensemble I Gemelli, créé en 2018, et à quel désir répondait-il ?

Emiliano Gonzalez Toro : Pour tout vous dire, Mathilde et moi avons traversé ce qu’on pourrait appeler une crise de la quarantaine à peu près au même moment ! (rires) Cette période a été déterminante, car elle nous a permis de prendre conscience de notre profond désir d’indépendance artistique. Nous voulions choisir nos projets, explorer des répertoires qui nous tenaient à cœur et être libres pour nos interprétations, nos enregistrements. En créant notre propre ensemble vocal et instrumental, nous avons pris le contrôle de chaque étape : du choix des œuvres à la distribution des rôles, en passant par la manière d’aborder chaque partition.

Mathilde Etienne : Après des années de collaboration avec de nombreuses formations, nous avons ressenti le besoin d’une plus grande liberté, tant intellectuelle qu’artistique. Nous voulions défendre une vision qui nous ressemble, sans compromis, et offrir au public une approche renouvelée de la musique que nous aimons.

Pourquoi avoir choisi le nom « I Gemelli » ?

E. G. T. : D’abord parce que nous sommes tous les deux nés sous le signe des Gémeaux, à dix jours d’intervalle. Mais aussi parce que nous partageons une connexion artistique et humaine très forte. Depuis notre rencontre, il y a douze ans, nous entretenons une alchimie qui relève presque de la gémellité.

M. E. : C’est vrai, nous fonctionnons comme un binôme en perpétuelle ébullition. Nous avons la chance de nous comprendre au quart de tour, ce qui facilite énormément notre travail et la prise de décision.

En quoi le fait de partager à la fois vie professionnelle et personnelle enrichit-il votre collaboration artistique ?

M. E. : Nous avons une relation de confiance totale. Cela nous permet de nous parler avec une grande franchise, sans détour et sans fausse pudeur. Bien sûr, nous ne sommes pas toujours d’accord sur tout, mais nous trouvons toujours un terrain d’entente.

E. G. T. : C’est une vraie communion d’âmes. Nous sommes constamment dans l’échange, ce qui nous permet d’affiner nos idées et d’aller toujours plus loin dans notre démarche intellectuelle et artistique.

© Michal Novak

Créer votre propre label, Gemelli Factory, vous est apparu comme une nécessité pour préserver votre indépendance ?

M. E. : Oui, absolument. Nous voulions non seulement choisir nos projets, mais aussi les produire à notre manière, en accord avec nos envies, nos idées. Dès notre rencontre, la voix d’Emiliano m’a bouleversée. J’ai toujours entendu en elle un héros, un Orfeo par exemple, alors qu’on le cantonnait souvent à des rôles comiques ou travestis. Quand il s’est vu refuser ce rôle une fois de plus, j’ai compris qu’il fallait que nous prenions les choses en main et que nous produisions nos propres enregistrements.

E. G. T. : De mon côté, j’ai immédiatement perçu le talent de Mathilde pour la dramaturgie et la direction artistique. Créer notre label, c’était une manière de conjuguer nos forces et de donner vie à nos projets avec une liberté totale.

Qu’est-ce qui différencie I Gemelli des autres ensembles de musique ancienne ?

E. G. T. : Dès le départ, nous avons voulu remettre en question certaines habitudes dans l’interprétation des œuvres vocales du XVIIe siècle. Il a longtemps été admis que les chanteurs et musiciens de cette époque suivaient toujours les indications d’un chef ou d’un claviériste rattaché au continuo, mais les recherches récentes montrent que cela n’était pas tout à fait le cas. La coordination se faisait d’une manière beaucoup plus collégiale.

M. E. : À l’époque de Monteverdi, par exemple, les musiciens étaient sur scène avec les chanteurs, et il n’existait ni fosse d’orchestre ni chef au sens moderne. Nous avons voulu recréer cette dynamique d’écoute réciproque, ce qui demande une préparation minutieuse en amont. Chaque chanteur et instrumentiste doit s’intégrer à une respiration commune la plus naturelle possible. Notre travail met la voix au centre de tout : nous nous attachons tout particulièrement à la restitution optimale des textures, des couleurs et à la musicalité du texte.

Le projet des Vespro della Beata Vergine a-t-il été votre plus grand défi jusqu’à présent ?

E. G. T. : Probablement ! Le premier défi a été de réunir des musiciens et chanteurs prêts à adopter notre vision de l’œuvre. Nous voulions une approche où chaque interprète serait un soliste à part entière. Cela impliquait de repenser certaines habitudes et d’accepter une relecture très détaillée de la partition. Heureusement, tous ont fait preuve d’une adaptabilité remarquable et de beaucoup d’enthousiasme.

M. E. : Pour moi, la contextualisation historique de l’œuvre a été aussi un travail essentiel et passionnant. Les recherches ont été approfondies, mais elles nous ont permis d’apporter un éclairage plus nuancé sur la partition. Le livre lié à l’enregistrement renferme une mine d’informations précieuses, organisées en plusieurs chapitres que l’on peut explorer à loisir, selon sa curiosité. Nous espérons que notre démarche didactique séduira les auditeurs et leur donnera envie de découvrir cette musique sous de nouveaux prismes.

Quels sont vos prochains projets ?

E. G. T. : Nous avons plusieurs projets en cours, mais nous pouvons déjà annoncer que notre prochain enregistrement sera consacré au Roland de Jean-Baptiste Lully.

M. E. : Avec le temps, on gagne en assurance et on s’embarque dans de nouvelles aventures toujours plus ambitieuses, exigeantes, mais exaltantes !

Comment ressentez-vous le fait de fixer une interprétation au disque ?

E. G. T. : L’enregistrement est bien sûr une étape importante. Il permet de garder une trace du travail accompli et de préserver le souvenir toujours émouvant de nos collaborations artistiques.

M. E. : Mais paradoxalement, enregistrer ne signifie pas pour nous figer. Au contraire, cela stimule notre réflexion et nous ouvre de nouvelles perspectives. Enregistrer permet de cristalliser des idées, mais en aucun cas de les rendre définitives. Qui sait, peut-être que dans quelques années, nous réenregistrerons les Vespro della Beata Vergine, Orfeo ou Il ritorno d’Ulisse in patria d’une manière totalement différente ?

Propos recueillis par Cyril Mazin

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