Theater Basel, 27 septembre
Christof Loy prend la parole juste avant le lever de rideau de cette soirée de première, en précisant qu’il s’agit là, de très longue date, de la seule nouvelle production d’une zarzuela montée par un théâtre européen hors de l’Espagne. Une assertion qui certes oublie quelques exceptions mais reste fondée. Et Loy de poursuivre en soulignant la véritable passion qu’il nourrit depuis plusieurs années pour ce genre lyrique méconnu, concrétisée par la fondation d’une jeune compagnie itinérante (Los Paladines), en vue de plusieurs prochains projets de mise en scène en Europe, cette production bâloise d’El barberillo de Lavapiés de Francisco Asenjo Barbieri devant inaugurer une série durable et variée.
On ne sait pas, à long terme, comment Christof Loy compte ressourcer ses propositions de mise en scène, que l’on sait stéréotypées, au contact d’un genre aussi particulier, mais en tout cas cette première tentative est réussie. Imagerie certes prévisible, costumes essentiellement modernes et décor en forme de boîte à chaussures percée d’ouvertures, mais un véritable plaisir esthétique est aussi de la partie, couleurs acidulées pour les costumes, agréable poésie visuelle pour les arrière-plans, et juste ce qu’il faut d’accessoires pour situer efficacement les différents lieux. Et puis surtout la célèbre direction d’acteurs du metteur en scène allemand s’adapte, piquante, joyeuse, exubérante, dansante, l’agitation pertinente du plateau évitant à merveille emphase et lourdeur. Tout pétille, rien ne s’appesantit, et parfois de jolies parenthèses d’émotion s’ouvrent entre les moments plus démonstratifs. Bref, du grand art !
Le choix d’El barberillo de Lavapiés est judicieux, tant cette grande zarzuela en trois actes, parodie patente du Barbier de Séville, reste continuellement heureuse, dans un style certes ibérique, castagnettes à l’appui, mais surtout influencé par l’opéra italien. Une continuelle aisance mélodique, qui rappelle Rossini, des airs ravissants, plusieurs délicieux duos (dont deux particulièrement enlevés au II, traditionnellement bissés à Madrid, et ce soir à Bâle aussi !), des chœurs d’une animation entraînante voire d’une véritable poésie : somme toute, effectivement, un chef-d’œuvre.
Reste l’écueil des dialogues, le propre du genre de la zarzuela (et en fait le seul trait qui l’unifie véritablement) étant ce caractère hybride entre parlé et chanté, comme dans l’« opéra-comique », l’opérette ou le Singspiel. Dans El barberillo, c’est là que se retrouve exposé un propos politique ouvertement contestataire, conspiration où trempe une partie de l’aristocratie mais qui ne peut prendre corps sans assentiment populaire, en contournant les barrières sociales. Ces passages peuvent paraître longs, mais la musique d’une langue bien maniée (le bagou de David Oller en Lamparilla est irrésistible de drôlerie) aide beaucoup, de même que l’idée de Christof Loy de ponctuer ces échanges par la constante présence d’un guitariste qui déroule des bribes de son répertoire. Impossible de se promener en Espagne sans qu’un air de guitare résonne quelque part, certes un cliché, mais habilement récupéré.
Les principaux rôles sont tenus par les quatre membres actuels de Los Paladines, compagnie dont le recrutement est appelé à se poursuivre. D’excellents choix, même si çà et là quelques verdeurs et manques peuvent se faire sentir, toujours compensés par la vivacité de la présence scénique. Maillon essentiel, la couturière Paloma doit afficher la plus jolie voix possible (un rôle de Teresa Berganza naguère), et ici, avec la fraîche et sensible Carmen Artaza, c’est bien le cas. David Oller, moins nasillard que traditionnellement, campe un excellent Lamparilla, même si sa voix peu timbrée paraît parfois trop proche de celle de Santiago Sánchez, un Don Luis encore un rien timide. Jolie Marchesina, fruitée et piquante, Cristina Toledo paraît peut-être trop soubrette pour l’emploi.
Les Chœurs de l’Opéra de Bâle s’amusent beaucoup, chantent bien, l’orchestre s’ébroue, sous la direction vive, pas toujours très subtile de José Miguel Pérez-Sierra. « ¡Olé!, ¡Bravo!, ¡Bien! », serait-on tenté de conclure. Mais s’il y a une vraie leçon à tirer de la réussite d’une telle soirée, c’est l’incontestable aptitude des chefs-d’œuvre de la zarzuela à dépasser des connotations folkloriques trop faciles, pour peu qu’on les traite avec les égards qu’ils méritent.
LAURENT BARTHEL
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