Teatro Donizetti, 20 novembre
Avec L’ajo [prononcer L’aio] nell’imbarazzo, « melodramma giocoso », créé à Rome, en 1824, Donizetti conquiert ses lettres de noblesse comme compositeur d’« opera buffa », genre auquel il imprime désormais sa marque, avec des personnages à la psychologie davantage approfondie et des situations plus réalistes.
Le livret de Jacopo Ferretti met en scène des contemporains de Donizetti : le marquis Giulio Antiquati, aristocrate romain, veuf et pudibond, et le précepteur de ses deux fils, le bien-nommé Gregorio Cordebono (entendez « au bon cœur »). Ce dernier, chargé de les préserver du danger de la fréquentation des femmes, les aidera, bien malgré lui, à s’affranchir de la tyrannie paternelle.
Francesco Micheli a transposé l’action en 2042, dans un monde futur qui est, évidemment, une vision caricaturale du nôtre. Giulio Antiquati est devenu un politicien abandonné par sa femme, obsédé par la trahison dont il a été victime et dont l’Ouverture nous raconte les déboires de façon très amusante. Gregorio Cordebono, quant à lui, est une sorte de gourou de l’information et du numérique qui le manipule, maintenant tout son monde dans un univers virtuel déshumanisé, ce qui nous emmène assez loin du personnage originel.
Cela nous vaut un habillage très sophistiqué, à base de vidéos richement colorées qui, projetées sur un écran surplombant la scène, sont censées illustrer les situations, mais dont le flot continu finit par tourner à vide et stérilise quelque peu les subtilités du livret. Du reste, dès le deuxième acte, Francesco Micheli renonce à ces artefacts et se concentre sur l’action, pour un résultat nettement plus convaincant. Le plateau, fort heureusement, est là pour compenser cette approche un peu forcée.
En Gregorio Cordebono, Alex Esposito déploie toute la puissance de son splendide baryton-basse et une autorité sans faille, pour incarner, avec une verve toute physique, ce précepteur bientôt dépassé par les événements. Passé l’air d’entrée de Giulio Antiquati, où l’irréparable outrage des ans se fait cruellement sentir dans un soutien un peu problématique, Alessandro Corbelli, 70 ans sonnés, retrouve toutes ses ressources vocales et donne la mesure de son génie comique en transmettant, avec brio, les sautes d’humeur et les angoisses de son personnage.
Les autres rôles sont distribués aux jeunes chanteurs de l’atelier lyrique « Bottega Donizetti » de Bergame qui, sans démériter, ne sont pas encore à la hauteur de leurs aînés. On donne volontiers un satisfecit aux deux ténors, Francesco Lucii, dont la conduite vocale est tout à fait honorable en Enrico, et Lorenzo Martelli, Pippetto très amusant. Mais il faut bien avouer que la soprano Marilena Ruta, à la limite de ses moyens, dès le premier air de Gilda, est dépassée, malgré un engagement certain, par les exigences de son rondo final.
Dans la fosse, Vincenzo Milletari ménage un bon équilibre fosse/plateau et fait briller la partition, donnée, comme toujours au Festival, dans une édition critique.
ALFRED CARON