Basilica di Massenzio, 22 juillet
À partir de cette année, le Caracalla Festival s’enrichit d’un nouveau lieu emblématique : la majestueuse Basilique de Maxence et Constantin, l’un des plus imposants vestiges du Forum romain, érigée à la fin de l’Antiquité, à deux pas du Colisée. De l’édifice originel, seule subsiste la nef nord, dont les voûtes à caissons ont inspiré les architectes de la Renaissance.
Vasily Barkhatov transpose Don Giovanni dans un parc d’attractions dominé par une grande roue. Dans la première moitié du deuxième acte, celle-ci disparaît partiellement derrière des prismes mobiles aux parois réfléchissantes, évoquant la nuit déroutante au sein de laquelle évoluent les personnages.
Sur le plan dramaturgique, la mise en scène explore la coexistence du sérieux et du comique qui, sans que l’un prenne le pas sur l’autre, constituent deux facettes complémentaires d’une même réalité. Cette dualité nourrit les ambivalences qui irriguent toute la production de Mozart et participent à sa poétique de l’ambiguïté. Barkhatov a par ailleurs formulé le souhait de disposer d’un Don Giovanni vieillissant, retraçant ses blessures et ses épreuves – depuis l’enfance à travers l’âge adulte, jusqu’à la mort.
Le Don Giovanni traditionnel, hédoniste et libertin, défiant toute norme morale et sociale, devient ici le protagoniste d’un drame familial, marqué par une relation conflictuelle avec le père, lequel se révèle être le Commandeur lui-même. La mort de ce dernier prend alors une valeur psychanalytique plus que réaliste : tuer le père – symbole des conventions sociales –, c’est tenter de se libérer d’une autorité oppressante (familiale, culturelle, religieuse). Ce parricide trouve un miroir dans un « filicide » symbolique : la négation du désir du fils de mener sa vie. Don Giovanni ne descend donc pas aux Enfers mais, dans un mouvement de régression affective, monte dans la grande roue en compagnie de papa et maman, après avoir partagé avec eux pop-corn et barbe à papa.
Dans cette optique, l’univers forain, avec ses petits trains et ses grosses mascottes, projette sur le personnage les couleurs d’un imaginaire enfantin jamais abandonné. En définitive, la mise en scène de Barkhatov repose sur une hypothèse de lecture stimulante, développée avec cohérence, même si certaines scènes frôlent la surcharge comique. Seul bémol : le choix de la version viennoise de 1788, dans laquelle l’œuvre s’achève sur la mort du protagoniste, altère l’équilibre subtil entre tragédie et comédie que Barkhatov semblait pourtant viser
À la tête des forces de l’Opéra de Rome, Alessandro Cadario signe une direction oscillante entre pratique historiquement informée et tradition assumée. Les tempi sont fluides sans être précipités, la pâte sonore équilibrée, ni trop sèche ni trop vibrée ; les récitatifs – accompagnés ou secco – témoignent de souplesse et de fantaisie sans forcer le trait ; les ornementations demeurent sobres.
À 67 ans, Roberto Frontali affiche une émission toujours saine et homogène et un phrasé expressif, incarnant un Don Giovanni mûr et désabusé, répétant ses gestes de séducteur avec lassitude et sans grand effet. Vito Priante incarne un Leporello à la fois caustique et empreint d’une mélancolie douce-amère, soutenue par un chant irréprochable, une articulation pénétrante et un jeu scénique d’une distinction retenue. Maria Grazia Schiavo offre une Donna Anna à la fois chaste et ardente, dotée d’une ligne vocale solide et d’une agilité parfaitement maîtrisée. Carmela Remigio donne vie au rôle nerveux et passionné de Donna Elvira, exprimant avec vigueur ses frustrations et ses élans contradictoires.
Le reste de la distribution inclut le Don Ottavio mesuré mais un peu terne d’Anthony León, la Zerlina vive et assurée – loin de tout maniérisme – portée par le timbre limpide d’Elenora Bellocci, le Masetto juste et efficace de Mihai Damian, et le Commandeur de Gianluca Buratto, incarné avec remarquable autorité.
PAOLO DI FELICE
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