Nationaltheater, 4 février
Dans l’absolu, il est toujours possible de juxtaposer deux ouvrages lyriques courts en une seule soirée. Peu importe lesquels. Entre les deux, on baisse le rideau, entracte, puis on passe à autre chose.
Ceci posé, on peut aussi s’astreindre à trouver des points de convergence, parfois au prix de contorsions très incommodes. Entre l’Angleterre de la fin du XVIIe siècle (Dido and Aeneas de Purcell) et la Vienne expressionniste du début du XXe (Erwartung de Schoenberg), tisser des fils dramaturgiques reste possible. Mais, si c’est pour dénaturer les deux œuvres, l’exercice paraît surtout gratuit.
Historiquement, on le sait, la reine Didon était une exilée, partie fonder Carthage, loin de son pays d’origine. Déduction facile : elle devient une réfugiée moderne, qui squatte une sorte de mobil-home dans les bois, à l’écart du monde. La forêt, une femme seule, voire délaissée, des pulsions suicidaires… Voilà pour les fils conducteurs possibles, pas inexistants, mais pas suffisants non plus.
En charge de cette nouvelle production du Bayerische Staatsoper, Krzysztof Warlikowski et son équipe sont cependant de bons candidats pour l’exercice. Esthétiquement, leur proposition reste constamment belle, avec, à l’arrière-plan, de superbes vidéos en perpétuel mouvement (ambiances de forêt neigeuse, silhouettes inquiétantes, etc.).
Techniquement, le spectacle est impeccable : plateau tournant, filmage en temps réel, voiture roulant silencieusement sur scène, pour débarquer périodiquement son lot de personnages étranges, artistes marginaux plus ou moins paumés, aux dégaines soigneusement stylées et colorées…
Le problème est que cette abondance d’images paraît plaquée sur le sujet, sans faire réellement sens, le meilleur moment du spectacle étant, paradoxalement, son interlude (les quelques minutes nécessaires pour installer discrètement, dans la fosse, l’énorme orchestre d’Erwartung). Là, pour meubler, on a demandé au compositeur polonais Pawel Mykietyn (né en 1971) une musique de raccord enregistrée, mi-planante, mi-rock, sur laquelle l’imaginaire de Krzysztof Warlikowski et son équipe peut se déchaîner.
Turbulente chorégraphie hip-hop, vidéos virtuoses de passages souterrains tagués, ne menant nulle part : quelques minutes utilitaires, mais brillantes. Pour le reste… L’opéra de Purcell étouffe, écrasé par trop d’espace et d’images, et plombé par la Didon d’Ausrine Stundyte, excellente actrice, mais vocalement hors de propos.
Dans Erwartung, la Femme (en fait, Didon) vit une sorte de rêve cathartique, où elle se retrouve confrontée aux cadavres d’Aeneas et de Belinda, qui ont ouvertement fauté ensemble pendant l’interlude et qu’elle a assassinés. La soprano lituanienne y paraît davantage à son affaire, mais, cette fois, ce sont les dimensions de la voix, dramatique certes, mais pas si énorme que cela, qui font défaut, avec un médium manquant de charpente et un relatif déficit de clarté d’élocution.
Alors qu’elle devrait être l’épine dorsale du spectacle, cette double performance se fait constamment voler la vedette : dans Dido and Aeneas, par la jolie Belinda de Victoria Randem ; dans Erwartung, par l’orchestre, voire par un dispositif trop encombrant, où deux données essentielles manquent, l’obscurité et la solitude.
Autre trait d’union possible : la personnalité d’Andrew Manze, violoniste issu du monde du baroque, mais devenu aujourd’hui chef symphonique. Son Schoenberg, languide et sourdement angoissant, est bien en situation, et son Purcell, aussi allégé que l’effectif et la salle le permettent, sonne de façon plutôt crédible. Mais cela ne suffit pas pour sauver une soirée, dès le départ, déséquilibrée.
LAURENT BARTHEL