Opéras Die Walküre à Rome
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Die Walküre à Rome

06/11/2025
© ANSC©MUSA

Auditorium Parco della Musica, Sala Santa Cecilia, 23 octobre

L’intégrale du Ring en version scénique manquait à Rome depuis le lointain 1961. C’est l’Accademia Nazionale di Santa Cecilia – à laquelle Wagner fut admis comme « socio illustre » lors de son séjour romain de 1876 – qui prend enfin l’initiative de ramener l’œuvre dans la Ville éternelle. Son directeur musical Daniel Harding a choisi de commencer par Die Walküre, pour s’engouffrer d’emblée dans les profondeurs du drame. Suivront, au cours des trois prochaines saisons, Siegfried, Götterdämmering, et, pour conclure, Das Rheingold en guise de préquelle. La scénographie signée Pierre Yovanovitch, installée derrière l’orchestre sur une plateforme surélevée – dans une zone où le public, placé derrière l’orchestre et tourné vers le chef, prend habituellement place – représente un vaste palais impérial blanc et stylisé, sans ancrage temporel précis, avec ses escaliers, ses tours et quelques ouvertures laissant entrevoir des parois rouges derrière.

La mise en scène de Vincent Huguet entend révéler les affinités entre les mythes nordiques à la base de l’épopée wagnérienne et la mythologie romaine : Sieglinde et Siegmund, enfants du loup, évoquent les mythiques jumeaux fondateurs de Rome, Romulus et Rémus, allaités par la louve ; Wotan emprunte les traits de Jupiter et s’habille en empereur ; Fricka, telle Junon, défend la famille traditionnelle ; Brünnhilde, mi-guerrière mi-sage, s’apparente naturellement à Minerve. Les costumes puisent dans l’imaginaire de la Rome antique sans pour autant rechercher l’exactitude historique. L’idée de départ séduit, mais reste à l’état d’ébauche, faute d’une véritable direction d’acteurs : la gestuelle demeure convenue et sans surprise, et la contrainte d’un espace conçu avant tout pour le concert – la superbe salle de Renzo Piano, dépourvue de machinerie théâtrale – accentue le statisme de l’ensemble. Le résultat, visuellement soigné, peine néanmoins à s’imposer sur le plan dramatique.

À la tête de l’excellent Orchestra dell’Accademia Nazionale di Santa Cecilia, Daniel Harding dirige avec une énergie contrastée et une attention méticuleuse aux détails. Ce que la phalange romaine n’a peut-être pas de la pâte sonore des grands orchestres allemands, elle le compense par un foisonnement et une brillance remarquables : les graves offrent corps et définition, les cuivres sont pénétrants et parfaitement articulés ; la couleur d’ensemble est souvent baignée d’une lumière presque méditerranéenne. Le réseau thématique qui parcourt la partition est déroulé avec transparence, remplissant pleinement sa fonction de rappel et de liaison entre les différentes situations du drame. Les moments les plus inspirés restent les passages intimes et élégiaques, où l’orchestre se replie sur des pianissimi d’une légèreté diaphane et aérienne.

Le plateau est dominé par Michael Volle, Wotan d’une plénitude sonore et d’une autorité scénique exceptionnelles : timbre somptueux, diction exemplaire, phrasé d’une finition rare. Face à lui, seule la Sieglinde de Vida Miknevičiūtė parvient à rivaliser en intensité expressive et en présence dramatique. La Brünnhilde de Miina-Liisa Värela, la Fricka d’Okka von der Damerau et le Hunding de Stephen Milling sont solides mais sans relief particulier. Jamez McCorkle, en Siegmund, manque cruellement de métal et de projection : le chant, souvent voilé et timide, ne suffit pas à donner chair au héros wagnérien, et son effort pour apporter un soin particulier au phrasé se heurte aux limites techniques de l’émission.

Au final, une Walküre musicalement très aboutie, au-delà des quelques réserves susmentionnées, servie par un orchestre somptueux et une direction inspirée, mais entravée par une mise en scène trop sage pour un mythe qui réclame davantage de feu et de vertige. Mais, comme on le sait, un Ring doit être évalué dans son ensemble ; ce premier volet ne permet donc qu’un jugement partiel, en attendant les épisodes suivants. Rendez-vous donc en 2028 pour Siegfried.

PAOLO DI FELICE

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