Opéras Die tote Stadt à Zurich
Opéras

Die tote Stadt à Zurich

07/05/2025
Eric Cutler et Vida Miknevičiūtė. © Monika Rittershaus

Opernhaus, 25 avril

Il a 41 ans, elle en a 16. Il la domine intellectuellement, et physiquement. Peut-être même l’a-t-il poussée au suicide. Fidèle à son habitude, Dmitri Tcherniakov recontextualise Die tote Stadt en faisant précéder l’opéra d’un court prélude parlé qui jette le trouble sur l’ambiguïté de la relation entre Paul, veuf inconsolable, et Marietta son épouse défenestrée. Sous la forme d’un texte défilant sur un écran, cette lecture journalistique reviendra au troisième tableau pour évoquer le meurtre de Marie. Chronique d’un féminicide annoncé.

Dans le décor habile qu’il signe lui-même – une scène entièrement vide mais avec un plateau tournant, surmontée d’une façade de villa suspendue dont le premier étage est occupé par l’appartement, quasiment vide, de Paul – Tcherniakov crée une ambiance à la Hitchcock : Paul en psychopathe émouvant, Marie en idéal féminin inatteignable et Frank en enquêteur vétilleux.

Avec ces personnages bien dessinés et une direction d’acteurs très précise, les deux premiers tableaux fonctionnent parfaitement. Le troisième est moins convaincant. D’abord parce que le metteur en scène russe prive complètement le spectateur de toute représentation de la Procession du Saint-Sang : restent juste des chœurs en coulisse, et Paul qui se déguise en cardinal. Ensuite parce qu’il fait de la dernière scène un ballet en rollers entre Frank et un clone de Marietta : si les mêmes rollers, combinés avec le plateau tournant, avaient pu donner un sentiment de fête pour le quintette du deuxième tableau, on présume qu’ils figurent au final l’impossibilité de s’échapper de la ville morte. Mais la figure tourne vite au ridicule, et on repense à la Manon de Coline Serreau à l’Opéra Bastille.

On a connu Eric Cutler parfois un peu gauche sur scène. Dirigé comme ici, il se révèle acteur fabuleux pour restituer toute l’ambiguïté du personnage de Paul, et la voix, aussi nette et puissante dans tous les registres, est splendide et éminemment expressive. Björn Bürger se montre à nouveau excellent en Frank et Fritz, et son Mein Sehnen, mein Wähnen est, par sa grâce, un des moments forts de la soirée, tout comme le Glück, das mir verblieb de Marietta, que Vida Miknevičiūtė esquisse même déjà une première fois a cappella dans le prélude où elle est encore Marie : si le médium et le grave de la soprano lituanienne sont de toute beauté, l’aigu est plus tendu, et elle doit le rétrécir pour en garder le contrôle, sans toutefois que cela nuise à l’équilibre général de son incarnation. On se réjouit aussi de retrouver Evelyn Hertlitzius, même dans les brèves apparitions de Birgitta. 

La direction de Lorenzo Viotti ne ressemble pas à ce qu’on entend d’habitude dans Die tote Stadt : loin de souligner les aspects troubles et mortifères de la partition de Korngold, le chef suisse, parfaitement suivi par le Philharmonia Zürich, met en évidence les ruptures et les dissonances, privilégie l’expressionisme sur l’impressionnisme, et tire parfois même Korngold vers Puccini, quitte à friser ponctuellement une forme de kitsch. Dans sa direction, c’est la pulsion de vie qui domine la pulsion de mort.

NICOLAS BLANMONT

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