Staatsoper Unter den Linden, 24 juillet
Ajoutée in extremis à la fin de la saison 2024-2025 du Staatsoper, et pour trois représentations seulement, Die schweigsame Frau marque à la fois la première nouvelle production de Christian Thielemann comme directeur musical, mais aussi la première représentation de l’œuvre sur Unter den Linden, pile quatre-vingt-dix ans après sa création à Dresde. Le seul opéra composé par Strauss sur un livret de Stefan Zweig reste une rareté, mais une nouvelle série de représentations est d’ores et déjà prévue in loco en mai 2026, et on peut même imaginer que le spectacle restera au répertoire tant il trouve avec intelligence le juste point d’équilibre entre respect de l’œuvre et actualisation.
La maison de Morosus est ici un appartement berlinois, sans luxe exagéré mais visiblement spacieux pour un homme seul : l’action se répartit entre chambre, hall d’entrée, salle à manger et bibliothèque, les décors de Ben Baur glissant latéralement. Jan Philipp Gloger raconte fidèlement l’histoire, avec un sens aigu de la direction d’acteurs mais aussi quelques scène d’anthologie – notamment le mariage ou le procès en divorce. L’action se passe de nos jours, sans céder à la facilité de la dérision ou de la méchanceté et sans vulgarité autre que celle – relative et voulue par le livret – des personnages de la troupe colorée qui accompagne Henry.
La prouesse de Gloger est de réussir tout à la fois une comédie feel good et un véritable moment de théâtre qui réussit – discrètement et sans didactisme – à poser des questions de société. Pendant les entractes, des données statistiques projetées sur le rideau de scène attirent l’attention du public sur la problématique de l’isolement des personnes âgées, mais aussi sur leur propension à demeurer dans des maisons devenues trop grandes alors que, dans le même temps, nombre de personnes sont vainement en recherche de logement.
Avec la complicité du chef, le metteur en scène souligne discrètement les parallèles que l’on peut dresser avec le Rosenkavalier : entre la scène de choix des candidates fiancées et la « Présentation de la rose », entre la farce construite pour tromper Morosus et les tribulations du Baron Ochs à l’auberge, et même entre la bénédiction résignée de Morosus à Henry et Aminta (« Wie schön ist doch die Musik ») et celle de la Maréchale à Octavian et Sophie.
Même si le choix de l’œuvre se voulait emblématique de ses dilections, Thielemann ne tire pas la couverture à lui mais se met au service du compositeur. Le pot-pourri d’entrée est joyeux et foisonnant, la Staatskapelle de Berlin, libérée, met en évidence la polyphonie de l’œuvre – quitte parfois à couvrir certains registres médians des solistes – et le chef ne manque pas une occasion de magnifier les moments de grâce pure qui se cachent derrière le rire.
Peter Rose chante avec raffinement le rôle de Morosus, même si l’on retrouve un certain manque d’assise et de résonance déjà remarqué dans son récent Ochs au Théâtre des Champs-Élysées (voir O. M. n° 214 p. 82 de juillet-août). La basse anglaise excelle tant dans la colère bougonne que dans la mélancolie, même si l’on est peut-être ému plus encore par une certaine fragilité vocale du chanteur que par l’apparence attachante du personnage.
Virtuosité, puissance, précision des aigus, Brenda Rae a les moyens requis pour les crises de Timida, mais la soprano américaine est également capable de superbes mezza voce à la fois très audibles et d’une intonation parfaite quand elle minaude, et le très beau duo avec Henry à la fin de l’acte II est un moment béni. Sans être éblouissant, Siyabonga Maqungo campe un Henry à la voix claire et suave, plutôt convaincant même si la projection est parfois inégale.
Le meilleur choix est finalement celui de Samuel Hasselhorn pour le rôle du barbier Schneidebart, qui a nombre de passages plus proches du parlé que du chanté : le sens du mot et la qualité de la diction de ce spécialiste du Lied font merveille. Le reste du plateau est sans point faible, et on aura particulièrement apprécié l’excellente réalisation des harmonies vocales de la fin du premier acte.
NICOLAS BLANMONT
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