Festspielhaus, 25 juillet
Il y a différentes manières d’envisager Die Meistersinger von Nürnberg : comme un manifeste de l’art allemand, comme un drame du renoncement, comme une comédie débonnaire… Matthias Davids, dont la nouvelle production succède à celles de Katharina Wagner (2007) et de Barrie Kosky (2017), a manifestement choisi la troisième solution. Avec son décorateur Andrew D. Edwards, il a imaginé une scénographie colorée qui représente en toute candeur les lieux de l’action : un escalier menant vers une église miniature au début du premier acte, que suit, à la faveur d’un décor tournant, une espèce d’amphithéâtre accueillant l’assemblée des maîtres chanteurs ; des maisons à colombages stylisées au deuxième acte, ponctuées d’arbres pointus ; l’atelier du cordonnier Sachs au troisième, avec outils et boîtes à chaussures.
Tous ces éléments accueillent une comédie fraîche et joyeuse, qui ne cherche pas à humilier ses personnages, ni à les faire évoluer dans un contexte historique, politique ou métaphysique. Le Nachtwächter est un veilleur de nuit, les bourgeois sont des bourgeois, les costumes se mélangeant avec plus ou moins de bonheur, et le spectacle se déroule avec naturel, ponctué de quelques clins d’œil : une cabine téléphonique devenue bibliothèque éphémère au II, un ring pendant la bagarre qui suit, la pantomime de Beckmesser au III dans un atelier tout à coup devenu fantastique… Seul le dernier tableau a quelque chose d’étouffant : on déploie les fanions, les bottes de paille et tout le kitsch d’un spectacle de variétés, avec en surplomb une gigantesque vache gonflée à l’hélium (allusion, paraît-il, au mauvais calembour « la wachkyrie »). Coincé là dans ce qui est autant un Freischütz de convention qu’une kermesse de la bière, Beckmesser mime les contorsions d’un rocker et tout se termine dans la bonne humeur, avec la participation d’un chœur dont l’enthousiasme et l’homogénéité ne sont plus à dire.
Ce spectacle sans prétention permet de se concentrer sur les chanteurs, qui eux-mêmes n’ont qu’à se soucier de leur prestation. On est frappé dès le début par la présence de Matthias Steier en David, la voix légère mais admirablement projetée, l’allure d’un Papageno ou d’un esprit sorti d’une comédie de Shakespeare. Le contraste avec l’autre ténor de la distribution est parfait : si Michael Spyres a un timbre charnu, son expérience rossinienne lui permet de déployer un chant magnifique d’aisance, d’éclat, doublé d’un bonheur manifeste à incarner un Walther facétieux (lorsqu’il envoie des avions en papier à Eva ou se blottit avec elle pendant la sérénade de Beckmesser), faussement sérieux (lorsqu’il écoute les leçons de Sachs), toujours joueur. Le triomphe de Walther est aussi celui de son interprète.
Par contraste, au moins au premier acte, Sachs est on ne peut plus introverti. Certes, le personnage est ambivalent (frustré ? magnanime ?), mais le timbre un peu mat de Georg Zeppenfeld souligne son côté presque dépressif. C’est à partir du III que le chanteur se révèle peu à peu (son « Wahn! », d’une grande noblesse), sans que jamais Hans Sachs n’apparaisse toutefois comme le moteur de l’action. Si Jongmin Park (Pogner) a l’ampleur d’un roi Marke, si chacun des maîtres chanteurs est incarné avec soin, Christina Nilsson est un peu perdue dans cet univers très masculin, mais son Eva rayonne avec beaucoup de tendresse, et la voix de mezzo de Christa Mayer donne vie à une Magdalene de belle facture. La surprise vient de Beckmesser, qui n’a rien ici d’un pédant ou d’un jaloux. Michael Nagy ne force pas la caricature, incarne un personnage presque inventif, qui chante pour séduire et s’imposer ; si bien qu’on a l’impression, quand Sachs ponctue ses erreurs de coups de marteau, qu’il est victime d’un maître censeur au petit pied.
Dans la fosse, qui est à Bayreuth plus et autre chose qu’une fosse, Daniele Gatti exalte la fluidité de la partition. Dès le Prélude, pourtant malmené par les allées et venues d’un public qui tarde à s’installer, le mouvement est allant, maintenu, sans précipitation cependant. L’accent est mis sur la souplesse, sur le soin à enrober les voix de toutes les nuances permises par les bois et les cors. Au cours du monologue de Sachs au II (« Wie duftet doch der Flieder »), le bruissement des altos et les accents des violoncelles font merveille ; un peu plus loin, quand Walther surgit devant Eva (« Ja, ihr seid es! »), l’orchestre se gonfle comme un cœur amoureux. Deux exemples pour dire comment le tissu instrumental chatoie sans fin et combien, dans ce spectacle, la musique ravit davantage que le théâtre.
CHRISTIAN WASSELIN
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