Opéras Die Frau ohne Schatten à Amsterdam
Opéras

Die Frau ohne Schatten à Amsterdam

29/04/2025
© De Nationale Opera/Ruth Walz

Muziektheater, 23 avril

Comme Tobias Kratzer récemment à Berlin (voir O. M. n° 210 p. 47 de mars), Katie Mitchell relit Die Frau ohne Schatten au prisme de la question de la fertilité. Inutile de chercher ici quoi que ce soit de philosophique, moins encore de surnaturel ou de poétique : l’ombre, pour la Britannique, se confond avec la question de la maternité, et tant l’Impératrice que la femme du teinturier sont testées continuellement. Un appareil d’échographie et les deux assistantes chargées des monitorings entrent et sortent continuellement de scène et, quand il y a relation sexuelle, c’est de façon purement fonctionnelle : on ne fait pas l’amour, on insémine.

À ce premier niveau de lecture, présenté comme féministe et anti-patriarcal, Mitchell ajoute des références récurrentes au narcotrafic et à la violence qui l’accompagne. Le but ? Écarter le livret de Hofmannsthal, jugé trop complexe et faible, et le remplacer par un « thriller féministe de science-fiction » ; en dénonçant au passage ce qu’elle qualifie de validisme du livret dans la présence des trois frères de Barak. Plutôt que de les stigmatiser comme manchot, bossu et borgne, Mitchell en fait des trafiquants de drogue un peu minables, tout comme leur frère en qui la metteuse en scène voit un trafiquant paupérisé et dépressif, ce qui explique d’après elle les problèmes d’infertilité du couple qui ne peuvent être imputés à sa seule épouse.

Le silencieux Keikobad est omniprésent et, quoique pourvu de sa belle tête d’antilope, réduit au rang de chef mafieux flanqué d’une escouade de sbires à têtes de loups qui dégainent et mettent en joue à tout bout de champ. Deux femmes de chambre sont tuées d’emblée, et au final ce sont la Nourrice et les trois frères qui sont froidement abattus.

Le tout laisse un sentiment de grande confusion, malgré un dispositif scénique assez lisible, où trois décors alternent à la verticale. Tout en haut, le loft luxueux du couple impérial. Au centre, la maison de Barak et sa femme, avec une arrière-cuisine où se font tous les trafics un peu louches mais un rendu globalement trop esthétisant pour paraître véritablement sordide (il aurait fallu une Anna Viebrock). Et, encore en dessous, des caves humides et sombres, royaume de Keikobad, lieu des laboratoires et des exécutions.

Il ne faut pas compter sur la distribution pour se consoler de ce chaos. Michaela Schuster a été une grande Nourrice, mais la voix a perdu l’essentiel de son grave et il ne reste que des cris peu ordonnés et une sorte de cabotinage affligeant. Fatigue notable aussi chez Aušrinė Stundytė : l’émission est mince, instable et plus d’une fois criarde. Daniela Köhler se confirme comme une Impératrice fiable, qui ne laisse d’autre choix qu’une voix nette mais pincée, ou parfois élargie et sonore mais alors plus imprécise.

L’Empereur d’AJ Glueckert assure l’essentiel sans charisme particulier, mais force est de reconnaître que chanter en blouse d’opération et chaussettes noires aux pieds est une épreuve dont peu pourraient sortir intacts. Le meilleur du plateau est le Barak de Josef Wagner, solide quoique encore un peu vert par moments, capable de beaucoup d’expressivité notamment dans la scène d’ouverture du troisième acte.

Confortablement étalé au pied de la large scène de Muziektheater et positionné assez haut, le Nederlands Philharmonisch peut exhaler la pleine puissance et toute la polyphonie de ses sonorités. Sans doute l’un ou l’autre passage de cordes à découvert vient-il rappeler que le deuxième orchestre d’Amsterdam ne joue pas dans la même division d’élite que celui du Concertgebouw, mais la qualité des pupitres de vents, notamment, est impressionnante : chaque solo est un moment de grâce. Et, surtout, Marc Albrecht, qui fut le directeur musical de l’orchestre pendant dix ans en même temps qu’il fut celui de l’Opéra, comprend et maîtrise si formidablement cette partition qu’il fait de l’orchestre la véritable star de la soirée.

NICOLAS BLANMONT

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