Porté par la direction vibrante de Maxim Emelyanychev et l’incarnation magistrale de Joyce DiDonato, le chef-d’œuvre de Purcell revêt une intensité dramatique saisissante dans cet enregistrement appelé à faire date.

Pour un opéra du XVIIe siècle, Dido and Aeneas de Purcell bénéficie d’une riche discographie, presque inattendue pour une partition d’une telle brièveté. Ce chef-d’œuvre de concision, l’un des rares exemples d’opéra anglais avant le XVIIIe siècle, a fasciné des générations d’interprètes. Le destin tragique de la reine de Carthage, abandonnée par le héros troyen, a trouvé un écho durable chez de nombreuses chanteuses d’exception : Janet Baker, Teresa Berganza, Kirsten Flagstad, Martha Mödl, Jessye Norman, Tatiana Troyanos, Shirley Verrett ou Anne Sofie von Otter ont, chacune à leur manière, inscrit ce rôle à leur répertoire. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’évocation de ces seuls noms suffit à mesurer l’attrait exercé par cette œuvre singulière, au lyrisme pénétrant. Maxim Emelyanychev en propose ici une vision intensément vivante, finement contrastée et d’une parfaite cohérence. À la tête de l’ensemble Il Pomo d’Oro, qu’il dirige avec fougue et plasticité, il éclaire d’un geste sûr les multiples dimensions de la musique : tension dramatique, atmosphères surnaturelles, vivacité rythmique. L’orchestre se montre incisif, coloré, toujours d’une grande réactivité, et trouve d’emblée le ton juste, dès les premières mesures d’une Ouverture tendue, sombre et théâtrale. Les épisodes burlesques ou fantastiques (les sorcières, l’orage, les marins) s’intègrent avec naturel dans une narration fluide et maîtrisée.

Joyce DiDonato livre une incarnation d’une intensité retenue, admirable par son équilibre et sa profondeur. Sans effets appuyés, elle campe une Dido souveraine et humaine, au phrasé sculpté, nuancé, toujours au service du mot et de l’affect. Dès sa première apparition (« Ah! Belinda, I am prest with torment »), son timbre ombré et velouté s’impose, et chaque élan semble porter le poids d’un drame intérieur. Sa diction exemplaire, la richesse de ses inflexions, la noblesse de sa ligne façonnent un portrait majeur, porté à son acmé dans le fameux lamento final (« When I am laid in earth »), qu’elle conduit jusqu’au sublime. Michael Spyres prête à Aeneas une voix solidement projetée, conférant au personnage une stature pleine de sincérité et de trouble. Son approche élégante, sans emphase, révèle avec tact les déchirements intérieurs du prince. Fatma Said, en Belinda, séduit par sa lumière vocale et une expression frémissante. Carlotta Colombo (Second Woman) se distingue par la limpidité de son émission, Laurence Kilsby (Sailor) par sa vivacité, et Hugh Cutting (Spirit) par une sonorité éthérée du plus bel effet. Quant à Beth Taylor, elle nimbe les imprécations de sa Sorceress d’un charisme vénéneux et magnétique. Le chœur d’Il Pomo d’Oro, d’une homogénéité superbe, répond avec ferveur aux moindres sollicitations du chef russe, qu’il s’agisse des pages élégiaques ou des scènes infernales. Portée par une direction passionnée, un orchestre d’une grande ductilité et une distribution de premier plan, cette nouvelle lecture de Dido and Aeneas brille par son impact dramatique et son exigence musicale. Une version appelée à s’inscrire durablement dans l’histoire discographique de l’ouvrage.

CYRIL MAZIN

1 CD Erato 5021732284884

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