Opéras Dido and Æneas à Genève
Opéras

Dido and Æneas à Genève

04/03/2025
Marie-Claude Chappuis et Jarrett Ott. © GTG/Magali Dougados

Grand Théâtre, 26 février

D’abord proposé en streaming en 2021 (voir O. M. n° 173 p. 51 de juin 2021), comme tant de spectacles durant la sombre période du Covid, Dido and Æneas de Purcell, revisité par Franck Chartier, se soumet enfin au regard du public en salle, sur la scène du Grand Théâtre de Genève. La diffusion en ligne avait déjà, à l’époque, suscité des réactions épidermiques. Certes, le monde de l’opéra est habitué depuis longtemps aux expérimentations scéniques les plus extrêmes, mais la proposition de Franck Chartier, directeur artistique du collectif belge Peeping Tom, repousse les limites du genre, et pas toujours pour le meilleur. Connu pour ses actes chorégraphiques provocants, ce dernier livre en effet depuis plus de vingt ans des performances ponctuées d’images volontairement sulfureuses et dérangeantes.

Hélas, le chef-d’œuvre de Purcell succombe au radicalisme de Chartier et sa troupe. À force de vouloir explorer les méandres psychiques de Didon, le metteur en scène en déconstruit l’essence de manière irréversible. Sa volonté d’allonger la brève partition originale – il a fait appel au talentueux violoncelliste Atsushi Sakaï, qui compose pour l’occasion une musique additionnelle d’une quarantaine de minutes – vise à asseoir sa vision scénique et chorégraphique sur la durée, mais ne fait que fragmenter un peu plus le microdrame de Purcell. De même, la scénographie spectaculaire de Justine Bougerol (notamment l’ensablement du plateau) et les divers costumes d’Anne-Catherine Kunz épousent cette approche chaotique. Dans cette perspective, l’univers psychotique mis en place accouche d’une galerie de personnages sinistres : une Didon vieillie et borderline (saisissante Eurudike De Beul), des figures fantomatiques errantes aboyant comme des animaux enragés (danseurs), un Énée spectral se muant en ange exterminateur, etc.

À trop scruter la souffrance humaine, Chartier étouffe le lyrisme subtil et intimiste de la partition. Relégués au second plan, les chanteurs peinent à exister dans cet univers douloureux saturé de gestes névrotiques. De fait, leurs interventions semblent désincarnées, leurs airs vidés de toute cohérence dramaturgique. Quelques tentatives isolées permettent toutefois d’apprécier la relative constance de la distribution vocale : Marie-Claude Chappuis (Didon, La magicienne, Un esprit) fait preuve tour à tour d’intensité et de nuances dans ses accents, Francesca Aspromonte (Belinda, Seconde sorcière) fait valoir une sensibilité frémissante, Jarrett Ott (Énée, Un marin) impose sa virilité expressive, tandis que Yuliia Zasimova (Deuxième dame, Première sorcière) se distingue par ses inflexions ciselées. Posté en hauteur, de part et d’autre du décor, le chœur du Grand Théâtre domine, quant à lui, l’action avec une solennité toujours pénétrante.

Côté direction, Emmanuelle Haïm, bien qu’elle maîtrise l’œuvre de Purcell sur le bout des doigts (son bel enregistrement gravé en 2003 pour Virgin Classics en atteste), semble un rien dépassée face à cette hybridation scénique et musicale. Entre clavecin, baguette et musique additionnelle, sa direction peine parfois à soutenir pleinement la rhétorique baroque, pourtant au cœur de sa démarche interprétative. Les instrumentistes du Concert d’Astrée apparaissent, eux aussi, souvent contraints dans leurs inflexions et leurs coloris, malgré leur évidente adaptabilité. Depuis la vision éclatée qu’en donnait Sasha Waltz en 2005 à Montpellier, Dido and Æneas n’avait jamais été aussi malmené, pour ne pas dire vainement trituré.

CYRIL MAZIN

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